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II
PRÉFACE

d’autres enfin ne dépasseront pas le domaine où ils sont nés et, n’étant compris et employés que par des initiés, n’ont point chance de pénétrer dans l’usage commun. C’est ce départ qu’a essayé de faire l’Académie dans la préparation de cette nouvelle édition. Travail minutieux, qui ne pouvait être exécuté à la hâte, et qui exigeait un double effort d’adaptation au mouvement moderne et de prudence avisée.

La liste des termes nouveaux jugés dignes d’être admis une fois dressée, il restait à en donner une définition claire et précise. Pour la plupart d’entre eux, l’Académie a sollicité l’avis des autres classes de l’Institut, ou de spécialistes d’une compétence indiscutable.

Ce travail des définitions, l’Académie ne l’a pas limité aux acquisitions récentes du vocabulaire. Elle l’a étendu à un très grand nombre de mots que l’édition de 1877 avait laissés définis d’une façon imparfaite. Celle-ci, comme les éditions précédentes, indique trop souvent la signification d’un mot par le procédé de la synonymie. Ce n’est pas que les auteurs du Dictionnaire aient jamais admis l’existence de synonymes parfaits ; ils s’en sont maintes fois défendus ; mais ils ont cru pouvoir laisser à chacun le soin de choisir entre divers équivalents d’un même terme. L’Académie a pensé qu’il lui appartenait de noter aussi exactement que possible les nuances, parfois presque insaisissables, qui, entre deux mots, déterminent la préférence d’un homme de goût. Elle n’a pas cru pouvoir maintenir dans l’édition de 1931 certaines définitions de l’édition de 1877, telles que « Affront, Injure, outrage ; Blâmer, Improuver, reprendre, condamner ; Chagrin (nom), Peine, affliction, déplaisir ; Chagrin (adj), Mélancolique, triste, de fâcheuse, de mauvaise humeur. » Une idée générale qui leur est commune apparente sans doute les différents termes de ces séries ; mais chacun garde son sens particulier. L’Académie s’est efforcée de rectifier toute définition imprécise, et ç'a été une partie importante de son travail.

S’il était indispensable d’enregistrer des façons de parler, qui, bien que formées de fraîche date, sont déjà familières à tout le monde, il ne l’était pas moins de faire disparaître celles qui, depuis 1877, sont tombées en désuétude, soit par le caprice de la mode, soit parce qu’elles représentaient des objets périmés ou des idées qui n’ont plus cours. Qui regrettera l’absence dans le Dictionnaire de l’Académie d’apocrisiaire, abluer, brouetteur, carabinade, carnosité, champarter, computiste, congiaire, délitescence, échansonnerie, escopetterie, excusation, etc. ? De même en a-t-il été pour un certain nombre d’expressions figurées où proverbiales qui aujourd’hui ne seraient plus comprises de personne. Qui emploie, de nos jours, qui même comprend : Faire ses caravanes, Il a bien des chambres à louer dans la tête, Il ressemble aux bahutiers, Voilà un enfant bien difficile à baptiser, Après bon vin bon cheval, Brebis comptées, le loup les mange, Observer les longues et les brèves ? L’Académie a grand souci de ne pas appauvrir la langue et de lui conserver ses qualités de saveur et de pittoresque : toutefois elle a dû, — quoique souvent à regret, — rayer des expressions qui, sorties de l’usage, n’appartiennent plus qu’à l’histoire de la langue.

En ce qui concerne les noms propres, historiques, mythologiques, et les désignations géographiques, elle a cru devoir se conformer rigoureusement à une règle établie déjà par les éditions précédentes, mais qui s’y trouve imparfaitement appliquée. En vertu de cette règle, ces noms et désignations n’ont place dans le Dictionnaire que si l’usage figuré en a fait de véritables noms communs où adjectifs exprimant telle ou telle qualité, comme lorsqu’on dit : C’est un hercule, Il est gaulois dans ses propos, Une réponse normande. Elle a donc supprimé un certain nombre de mots maintenus dans l’édition de 1877, tels que Argonautes, Capitole, Hélicon, Borée, Chaldéen, Étrusque, Basque, etc., auxquels il faut joindre les noms de constellations. Pour tous ces mots elle renvoie aux dictionnaires spéciaux. Elle a cru toutefois devoir faire une exception pour certains termes flottant entre la catégorie des noms propres et celle des noms communs,