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BRU

le nom de brut à des productions artificielles que la main de l’ouvrier doit dégrossir ou perfectionner ; de sorte que cette épithète ne peut être appliquée qu’aux productions naturelles ou artificielles qui peuvent être perfectionnées par la main d’œuvre. Ainsi, on ne peut pas dire une plante brute. Un Naturaliste ne peut dire une plume brute, parce qu’il ne la considère pas comme pouvant être perfectionnée par l’art. Mais un Plumassier le dit. Asper, scaber, impolitus. Les diamans bruts se trouvent dans les sables, ou dans des fentes des rochers de Golconde. Tavernier. Une émeraude brute est peu estimée, à cause du risque qu’il y a de la casser en la taillant. On dit aussi une maçonnerie de pierres brutes ; pour dire qui ne sont point taillées. On appelle aussi du sucre brut, celui qui n’est pas affiné.

On dit d’un jardin qui n’est pas encore achevé d’être planté, d’être accommodé, qu’il est encore tout brut.

Brut, se dit aussi figurément d’un ouvrage qui n’est qu’ébauché, qu’on n’a pas eu loisir de limer & de polir.

BRUT, ou ORT, se doit entendre du poids de la marchandise, quand elle est pesée avec son emballage. On dit en ce sens : cette balle de poivre pese brut ou ort cens livres ; pour marquer que l’emballage & le poivre qui est dedans, pésent ensemble six cens livres. ☞ Il y a des marchandises qui paient les droits d’entrée & de sortie du Royaume net, & d’autres brut ou ort.

☞ BRUTAL, ALE, adj. On désigne par cette épithète, un caractère féroce & emporté, un homme qui tient de la bête brute. Ferox, belluinus, ferinus. Homme brutal. Valeur, passion brutale ; employé substantivement, il désigne un homme féroce & grossier. C’est un brutal, un franc brutal. Ce repos brutal contre la crainte de l’enfer, semble si beau, que ceux qui sont dans ce doute malheureux s’en glorifient. Pasc. Un débauché n’a que des appétits brutaux. Un franc brutal contestant comme un diable. Scar. Il n’y a point d’homme si brutal, ou si sauvage, qui ne voie avec plaisir son nom immortalisé. Pat. Je ne suis pas surpris de la vaillance d’un brutal, qui ne sait ce que c’est d’être vivant ou mort. Le Ch. de Mer. Ces esprits brutaux étoient rendus plus farouches par la guerre, & par le désespoir du pardon. Vaug. Il va aussi à la dissolution & à la corruption des mœurs. La licence effrénée de ces brutaux avoit rendu le nom des Macédoniens odieux. Vaug.

L’homme seul, l’homme seul en sa fureur extrême,
Met un brutal honneur à s’égorger soi-même. Boil.

Brutal, se dit aussi d’un homme qui ne sait pas vivre, qui ne ménage personne, & qui brusque tout le monde. La fortune avec toute sa puissance, ne pourra jamais apprivoiser un brutal & polir la rudesse de ses mœurs. Balz. On dit, il m’a fait une réponse fort brutale ; c’est-à-dire, fort incivile, fort mal-honnête. Brutal emporte plus que grossier, & y ajoute quelque chose de dur & de choquant. Bouh. La valeur naturelle est brutale. M. Scud.

BRUTALEMENT, adv. D’une manière brutale. Ferino more, ferociter. Un luxurieux vit brutalement. Un Corsaire traite brutalement ses esclaves. On croit l’enfer & cependant on va brutalement à la mort, comme s’il n’y avoit plus rien après elle. Nic.

BRUTALISER. v. n. C’est un mot qui a été inventé pour le mettre dans la bouche d’une précieuse. Il signifie prendre des plaisirs sensuels, des plaisirs qu’une précieuse voudroit qu’on laissât prendre aux seules bêtes. Belluinas sectari delicias. Le moyen de penser au mariage, puisqu’on y passe toute sa vie à brutaliser avec un homme. Il n’est pas d’usage.

Brutaliser v. a. Traiter quelqu’un durement, brutalement. Durè, acerbè, ferociter aliquem excipere. L’usage du monde poli apprend à ne brutaliser personne. Il n’est que de la conversation.

BRUTALISÉ, ÉE, part.

BRUTALITÉ. s. f. Action d’un brutal. Les soldats commettent de grandes brutalités, quand on leur abandonne une ville au pillage. Actio digna pecude.

Pour pourvoir d’un œil sec voir mourir ce qu’on aime,
Ah ! c’est brutalité, plus que vertu suprême. Gui.

☞ Il se dit aussi du vice du brutal, de la passion brutale. Sa brutalité lui a fait beaucoup d’ennemis.

☞ Cet homme s’est reconnu après avoir assouvi sa brutalité. Et d’une parole dure & brutale, il m’a dit cent brutalités.

Brutalité, signifie encore grossièreté mêlée de dureté. Stupiditas, stupor. La rusticité, la grossièreté & la brutalité peuvent être les vices d’un homme d’esprit. La Bruy.

BRUTAMARMA. s. f. Sorte de poire nommée autrement, Tibivilliers. La Quint. T. I, p. 385. C’est une poire de Mars & d’Avril. Id.

☞ BRUTE. s. f. Animal considéré comme privé de la raison, & par opposition à l’homme. Brutum animal. L’homme n’est distingué des brutes que par la raison. La bête considérée dans son dernier degré de stupidité, comme affranchie des loix de la raison & de l’honnêteté, selon lesquelles nous devons régler notre conduite, est appelée brute. Ainsi c’est toujours un terme de mépris qu’on n’applique aux bêtes & à l’homme qu’en mauvaise part. L’instinct tient lieu de raison aux brutes. Il n’a pas plus de raison qu’une brute. Il s’abandonne à toute la fureur de son penchant comme la brute.

☞ On dit aussi une bête brute, & figurément d’un homme sans esprit, sans jugement, que c’est une bête brute, une vraie brute.

BRUTE-BONNE. s. f. Sorte de poire que la Quintinie nomme ainsi, P. III. Tom. I, pag. 350. C’est une poire de la mi-Août, qui s’appelle autrement poire du Pape. Id.

BRUTIEN, ENNE. s. m. & f. Nom d’un ancien peuple d’Italie. Brutius. Les Brutiens occupoient la partie de l’Italie qui étoit entre la Lucanie & le détroit de Sicile, ayant à l’orient la mer de Tarente, & celle de Toscane à l’occident. C’est la pointe de l’Italie où est aujourd’hui la Calabre citérieure & l’ultérieure.

On prétend que ce furent originairement des pasteurs ou bergers des Lucaniens, qui secouèrent le joug, & se délivrant de la servitude établirent ce peuple, & qu’on les appela Brutii à cause de leur grossièreté, de brutus, brute, stupide. Aulu-Gelle, L. X, C. 3, dit que les Brutiens ayant été les premiers de l’Italie à se révolter pour Annibal, les Romains dans la suite ne les voulurent plus enrôler pour soldats, ni les tenir pour alliés, mais qu’ils en firent les Ministres des Magistrats qui alloient dans les provinces, les appelant Brutianiens, comme on le voit dans Caton. Voyez Vigenere sur Tite-Live, p. 1758.

BRUTIER. s. m. Oiseau de proie. Ales prædator. On dit proverbialement, que d’un brutier on ne sauroit faire un épervier ; pour dire qu’on ne sauroit rendre honnête homme ni habile celui qui est sot & butor : parce que le brutier est un oiseau de proie qui vit aux champs, qu’on ne peut dresser ni au poing, ni au leurre. Cet oiseau est le même que la buse & le butor ; quoique quelques-uns les distinguent.

BRUTIFICATION. s. f. C’est un mot que Cyrano a forgé pour marquer l’état des bêtes, au nombre desquelles on vouloit le ranger dans l’empire de la lune. On exécuta, dit-il, de point en point la volonté du Prince, de quoi je fus très-aise pour le plaisir que je recevois d’avoir quelqu’un qui m’entretînt pendant la solitude de ma brutification.

BRUTIFIER. v. a. Rendre bête. J’ai remarqué que presque toutes les visions d’esprits ne se sont présentées qu’à des femmes, ou à des reclus qui avoient le cerveau un peu altéré à force de ne voir personne & de s’être comme brutifiés parmi les bêtes au milieu