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BEA

beau naturel, & indépendant de l’opinion des hommes : enfin qu’il y a une espèce de beau d’institution humaine, & qui est arbitraire jusqu’à un certain point.

☞ Le beau peut être considéré dans l’esprit ou dans le corps. Ainsi par rapport à ses différens territoires, il faut encore le diviser en beau sensible, que nous appercevons dans les corps, & en beau intelligible que nous appercevons dans les esprits. L’un & l’autre ne peut être apperçu que par la raison. Le beau sensible, par la raison attentive aux idées qu’elle reçoit des corps : le beau intelligible, par la raison attentive aux idées de l’esprit pur.

☞ Trois de nos sens, le goût, l’odorat & le toucher ne cherchent que ce qui leur est bon : les deux autres, la vue & l’ouie, sont faits pour discerner le beau. Le beau visible ou optique est du ressort de l’œil ; le beau musical ou acoustique est du ressort de l’oreille ; mais quoiqu’ils en soient les juges naturels, ils ne doivent en décider qu’en tribunaux subalternes, suivant certaines lois, qui leur étant antérieures & supérieures, doivent dicter tous leurs arrêts.

☞ L’Auteur prononce ensuite qu’il y a un beau visible dans tous les sens qu’on vient de le dire, un beau essentiel, un beau naturel, & un beau en quelque sorte arbitraire, & il établit des règles pour les reconnoître, chacun par le trait particulier qui le caractérise.

☞ La plus légère attention à nos idées primitives nous fait voir que la régularité, l’ordre, la symétrie sont essentiellement préférables à l’irrégularité, au désordre, à la disproportion : d’après les premiers principes du bon sens nous jugerons qu’une figure est d’autant plus élégante, que le contour en est plus juste & plus uniforme ; qu’un ouvrage est d’autant plus parfait, que l’ordonnance en est plus dégagée ; que dans un dessein composé de plusieurs pièces différentes, elles y doivent être tellement disposées, que la multitude n’y cause point de confusion, & que de cet assemblage il en résulte un tout où rien ne se confonde, où rien ne se contrarie, où rien ne rompe l’unité du dessein. Un simple coup d’œil sur deux édifices, l’un régulier, l’autre irrégulier, nous suffit pour nous faire voir qu’il y a des règles du beau, & pour nous en découvrir la raison. C’est donc la similitude, l’égalité, la convenance des parties qui réduit tout à une espèce d’unité qui fait qu’un ouvrage est beau. Mais il n’y a point de vraie unité dans les corps, puisqu’ils sont tous composés d’un nombre innombrable de parties. Où l’ouvrier voit-il donc cette unité qui le dirige dans la construction de son dessein, cette unité que son ouvrage doit imiter pour être beau ; mais que rien ne peut imiter parfaitement, puisque rien ne peut être parfaitement un. Il faut donc conclure avec S. Augustin, qu’il y a au-dessus de nos esprits une certaine unité originale, souveraine, éternelle, qui est la règle essentielle du beau en tout genre. Omnis porro pulchritudinis forma, unitas est.

☞ En second lieu, il y a un beau naturel, dépendant de la volonté du créateur, mais indépendant de nos opinions & de nos goûts. C’est par l’éclat des couleurs que l’Auteur de la nature a introduit dans la nature un nouveau genre de beauté qui nous offre un spectacle si brillant & si diversifié. L’azur du Ciel, la verdure de la terre émaillée de mille fleurs, la clarté pure du jour, l’illumination naturelle de la nuit, le coloris animé du visage des hommes, &c. sont autant d’objets d’admiration pour nous. Il y a donc un beau visible, naturel, dépendant de la volonté du créateur : & il seroit aisé de prouver qu’il est indépendant de nos goûts & de nos opinions, si tous les hommes étoient de même couleur : mais il y en a de blancs & de noirs, & chacun prend parti selon les intérêts de son amour propre. Ajoutez qu’il n’y a presque personne qui n’ait sa couleur favorite. Les peintres eux-mêmes sont partagés sur le mêlange qui forme la vraie beauté du coloris.

☞ Pour terminer ce différent, consultons les yeux, juges naturels du beau visible. Ils nous disent que la lumière est la reine & la mère des couleurs. Elle est belle de son propre fonds, & elle embellit tout. C’est tout le contraire des ténèbres. Or de toutes les couleurs, celle qui approche le plus de la lumière, c’est le blanc ; celle qui approche le plus des ténèbres, c’est le noir. Voilà donc la première question décidée par la voix même de la nature. De cette conclusion, qui ne peut être douteuse que chez les Maures ou en Ethiopie, ne pourroit-on pas donner à chacune des couleurs le rang d’estime qu’elles méritent, selon qu’elles approchent plus ou moins de la lumière ? Rien de plus naturel que de mesurer leur beauté par leur éclat.

☞ Mais après tout, il suffit qu’indépendamment de nos goûts & de nos opinions, toutes les couleurs aient leur beauté propre ; qu’elles plaisent toutes naturellement dans la place qu’elles occupent ; & que chacune en particulier soit d’autant plus belle, qu’elle est plus pure, plus homogène, plus uniforme, c’est-à-dire, qu’on y découvre une image plus sensible de l’unité.

☞ Quelque brillante que soit une couleur, elle nous rassasiéroit bientôt, si nous n’en avions qu’une seule à considérer dans l’Univers. Mais il y a encore une autre sorte de beauté, indépendante de nos opinions & de nos goûts, dans le nombre infini des couleurs composées, qui résultent de leurs différens mélanges, en les prenant deux à deux, trois à trois, quatre à quatre, &c. & des combinaisons de ces résultats les uns avec les autres pour en former de nouveaux mélanges, combinaisons qui produisent une infinité de couleurs différentes.

☞ Quelle beauté ne résulte pas encore de l’union & de l’assemblage des couleurs pour composer un tout hétérogène où elles se voient distinguées sur le même fonds, chacune dans sa beauté spécifique ! Dans les couleurs de l’arc-en-ciel, dans celles d’un paon qui fait la roue, dans celles d’un papillon éployé aux rayons du soleil, dans les parterres de nos jardins, souvent dans une simple fleur, quelle richesse dans cet assemblage de couleurs si différentes, quelle sympathie entre quelques-unes ! quelle adresse dans la conciliation des plus ennemies ! quelle délicatesse dans le passage de l’une à l’autre ! quelle diversité dans les parties ! quel accord dans le total ! Tout y est distingué, tout y est uni. Peut-on ne pas reconnoître là un beau indépendant de nos goûts & de nos opinions.

☞ Dans l’homme ne trouve-t-on pas un genre de beau visible, réel & absolu ? Peut-on s’empêcher d’appercevoir du beau dans la régularité des traits d’un visage bien proportionné, dans le choix & dans le tempérament des couleurs qui enluminent ces traits, dans le poli de la surface où ces couleurs sont reçues, dans les grâces différentes qui en résultent successivement, selon les divers âges de la vie humaine ; dans les grâces tendres de l’enfance, dans les grâces brillantes de la jeunesse, dans les grâces majestueuses de l’âge parfait, dans les grâces vénérable d’une belle vieillesse, principalement dans cet air de vie & d’expression qui rend, pour ainsi dire, ces grâces parlantes, qui distingue si avantageusement une personne de sa statue & de son portrait. Comment après cela faire dépendre l’idée du beau de l’éducation, du préjugé, du caprice & de l’imagination des hommes ?

☞ C’est qu’en effet il y a une troisième espèce de beau qu’on peut appeler arbitraire ou artificiel, un beau de système & de manière dans la pratique des arts, un beau mode & de coutume dans les parures, &c. On voit qu’il entre beaucoup d’arbitraire dans ces idées de beauté, & de-là on conclut sans façon que tout beau est arbitraire.

☞ Dans les arts, dans l’Architecture par exemple, il y a deux sortes de règles ; les premières fondées sur les principes de la Géométrie ; les autres fondées sur les observations particulières que les maîtres de l’art ont faites en divers temps, sur les proportions qui plaisent à la vûe par la régularité vraie ou apparente. Les premières sont invariables comme la science qui les prescrit. La perpendicularité des colonnes qui soutiennent l’édifice, la symétrie des membres qui se répondent, l’élégance du dessein, l’unité dans le coup d’œil, sont des beautés ordonnées par la nature, indépendamment du choix de l’architecture. Celles de la seconde espèce qu’on a établies pour déterminer les proportions des parties d’un