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NICOLAS NICKLEBY.

nous ne dînons pas encore. Madame Nickleby, nous avons pris la liberté de vous faire venir une heure trop tôt, parce que nous avons une petite affaire à terminer. Monsieur Nickleby, ayez la bonté de me suivre.

Catherine se retira dans la chambre voisine, et Charles conduisit Nicolas dans son cabinet, où, à sa grande surprise, celui-ci trouva Frank, qu’il croyait absent.

— Jeunes gens, donnez-vous la main, dit M. Charles. — Je n’ai pas besoin qu’on me le recommande, dit Nicolas. — Ni moi, répondit Frank.

Le vieux négociant les contempla avec plaisir en songeant qu’il eût été difficile de voir côte à côte deux plus beaux et plus braves jeunes gens ; il s’assit à son bureau, d’où il tira un papier.

— Je désire que vous soyez amis, et, si je ne l’espérais, j’hésiterais à vous dire ce que vous allez entendre. Voici une copie du testament du grand-père maternel de Madeleine ; il lui lègue toute sa fortune, douze mille livres sterling, payables à l’époque de son mariage ou de sa majorité. Il paraît que ce vieillard, irrité contre elle parce qu’elle refusait de quitter son père, avait laissé ses biens à un établissement de charité. Toutefois, trois semaines après, repentant de cette détermination, il révoqua ses premières dispositions par le testament que voici. Ce testament fut frauduleusement soustrait, et, en vertu de celui qu’on trouva lors de l’inventaire, les administrateurs de l’établissement de charité entrèrent en possession de la fortune du défunt ; mais, ne pouvant contester l’authenticité de cet acte, ils viennent de rendre à l’amiable les douze mille livres dont ils jouissaient, et Madeleine va se trouver maîtresse de cette somme. Vous comprenez ?

Frank répondit affirmativement et Nicolas inclina la tête sans oser parler, de peur qu’on ne l’entendit balbutier.

— Maintenant, Frank, vous vous êtes employé activement au recouvrement de cet acte. Cette fortune est peu considérable ; mais, cependant, nous aimerions mieux vous voir marié avec elle qu’avec une autre trois fois plus riche. Voulez-vous vous mettre sur les rangs pour obtenir sa main ? — Non, Monsieur ; quand je me suis occupé de reconquérir ce testament, j’ai pensé que sa main était déjà engagée à un autre qui a mille fois plus de droits que moi à sa reconnaissance et à son amour. J’ai jugé peut-être trop précipitamment. — C’est ce que vous faites toujours, s’écria M. Charles oubliant complètement sa feinte dignité. Comment osez-vous croire que nous songeons à vous faire faire un mariage d’argent, quand vous avez une inclination motivée par mille qualités ? Comment osez-vous penser à miss Nickleby sans nous en avertir ? — J’avais si peu d’espérance ! — C’était une raison de plus pour