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NICOLAS NICKLEBY


CHAPITRE I.


Dans une partie écartée du Devonshire, en Angleterre, vivait un certain Godefroi Nickleby. Ce digne homme épousa une femme qu’il aimait, et qui, en acceptant sa main, ne montra pas moins de désintéressement.

Godefroi mena d’abord une existence assez précaire ; mais un de ses oncles étant venu à mourir subitement, le mit à même d’acheter une petite ferme, et d’élever ses deux fils. Il institua M. Godefroi son légataire universel.

À sa mort, arrivée quinze ans après, M. Godefroi put laisser à Ralph, son fils aîné, trois mille livres en numéraire, et à Nicolas, le plus jeune, mille livres et la métairie. Les deux frères avaient été élevés ensemble dans une pension à Exeter, et, comme ils venaient une fois par semaine à la maison, ils tenaient de la bouche de leur mère de longs détails sur les souffrances de leur père aux jours de sa pauvreté, et sur la splendeur de leur oncle défunt aux jours de sa prospérité. Ces récits produisirent sur chacun des enfants une impression toute différente. Le plus jeune, naturellement timide et ami de la retraite, en conclut simplement qu’il fallait fuir le grand monde, et s’attacher à la vie paisible et routinière des champs. Ralph, l’aîné, tira de cette histoire tant de fois répétée ces deux grandes moralités : que les richesses sont l’unique et la véritable source du bonheur, et qu’il est légitime de se les procurer par tous les moyens imaginables. Loin de se borner à la théorie, et de laisser ses facultés se rouiller dans des abstractions purement spéculatives, cet enfant de haute espérance débuta par être usurier à l’école sur une petite échelle. Il