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entièrement déserte, et que les deux enfants qui nous regardent là sur la muraille, ont quelqu’un pour leur renvoyer un coup d’œil d’amitié. Vous appartenez tellement à la maison, Arthur, vous êtes tellement de la famille, et nous aurions tous été si heureux si cela avait pu se faire… mais, voyons un peu… Quel temps fait-il pour voyager ? »

M. Meagles se tut, toussa, et se leva pour aller regarder par la croisée.

Tout le monde fut d’accord pour trouver que le temps promettait d’être magnifique, et Clennam eut soin de ne pas laisser la conversation empiéter sur un terrain plus dangereux jusqu’à qu’elle fût devenue plus calme. Alors il commença peu à peu à parler d’Henry Gowan, de sa vive intelligence, et des aimables qualités qu’on lui trouvait lorsqu’on savait le prendre ; il appuya aussi sur l’affection sincère que l’artiste avait pour sa femme. Clennam ne manqua pas de produire l’effet voulu sur le digne M. Meagles, dont ces éloges ranimèrent la gaieté, et qui prit mère à témoin que son vœu le plus cher était de vivre en bonne amitié et en bonne intelligence avec son gendre. En quelques heures les meubles furent enveloppés pour les défendre contre la poussière pendant l’absence de la famille (ou, selon l’expression de M. Meagles, on fit la toilette de nuit à la maison et on lui mit les cheveux en papillotes), et, quelques jours plus tard père et mère étaient partis. Mme Tickit et le traité de médecine du docteur Buchan montaient la garde, comme autrefois, derrière le store de la salle à manger, et les pieds d’un promeneur solitaire écrasaient les feuilles mortes dans les allées du jardin désert.

Comme il aimait cet endroit, il laissa rarement passer une semaine sans y retourner. Quelquefois il Y restait tout seul depuis le samedi jusqu’au lundi matin ; d’autres fois son associé l’accompagnait ; d’autres fois encore, il ne faisait que de se promener une heure ou deux dans la maison et dans le jardin, puis, après s’être assuré que tout était en ordre, il s’en retournait à Londres. Il trouvait toujours Mme Tickit assise à la fenêtre de la salle à manger, attendant le retour de la famille, coiffée de son tour de cheveux noirs et armée de son traité de médecine.

Dans une de ses visites, Mme Tickit le reçut avec ces paroles :

« Monsieur Clennam, j’ai à vous dire quelque chose qui vous surprendra. »

Le quelque chose en question était une nouvelle si étonnante que Mme Tickit avait quitté sa croisée favorite pour se montrer dans une allée du jardin lorsque Clennam y pénétra par la grille qu’on venait de lui ouvrir.

« De quoi s’agit-il, madame Tickit ? demanda-t-il.

— Monsieur, répondit la fidèle dame de charge après l’avoir conduit dans la salle à manger, dont elle referma la porte ; ou je n’ai jamais vu de ma vie cette enfant égarée et aveuglée, ou c’est elle que j’ai vue hier soir en chair et en os à l’heure du crépuscule.