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déjà contracté de nouvelles dettes, et je suppose qu’il me faudra le tirer d’embarras encore une fois. Quand il n’y aurait que ce motif-là, nous ferons peut-être aussi bien d’aller là-bas en amis voir un peu ce qui s’y passe. Et puis, voilà mère qui s’inquiète trop (c’est assez naturel pourtant) de la santé de Chérie, et qui désire qu’elle ne soit pas seule dans un moment comme celui-là. Toujours est-il, Arthur que notre pauvre Chérie est bien loin et qu’elle doit se trouver bien isolée au milieu d’une ville étrangère dans les circonstances actuelles. On aura beau la soigner aussi bien que la plus grande dame du pays, elle n’en est pas moins très-loin ; car, si le dicton populaire nous répète qu’il n’y a pas de petit chez soi, avec votre permission, j’ajouterai ceci au proverbe : c’est qu’on a beau être à Rome, on n’est pas pour cela chez soi.

— C’est parfaitement exact, répondit Clennam. Voilà plus de raisons qu’il n’en faut pour partir.

— Je suis charmé que vous pensiez comme moi ; cela me décide. Mère, ma chère, tu peux commencer tes préparatifs. Nous avons perdu notre bonne petite interprète (elle parlait à ravir trois langues étrangères, Arthur, vous l’avez entendue bien des fois ; c’est donc toi, mère qui sera obligée de me tirer d’embarras, comme tu pourras. À l’étranger, j’ai toujours besoin de quelqu’un pour me tirer d’embarras, dit M. Meagles hochant la tête, je m’embourbe à chaque instant. Je vais bien encore jusqu’au nom substantif, mais, passé cela, je m’embrouille… et encore le substantif lui-même suffit quelquefois pour me tenir au gosier, pour peu qu’il soit coriace.

— Mais j’y pense, répliqua Clennam, Cavalletto est à votre service. Il ira avec vous si vous voulez. Je ne voudrais pas le perdre, mais je sais que vous me le ramènerez.

— Je vous remercie, Arthur, répliqua M. Meagles, réfléchissant à cette proposition ; mais je ne crois pas que je profite de votre offre. Non. Je me laisserai remorquer par mère. Caval-Looro (voilà déjà un nom qui à lui seul suffit pour m’embourber avant de partir, cela ressemble au refrain d’une de nos chansons à boire), Caval-Looro vous est trop utile : je ne veux pas vous en priver. D’ailleurs Dieu sait quand nous reviendrons, et on ne peut pas vous l’enlever pour un temps indéfini. La maison n’est plus ce qu’elle était. Elle ne renferme que deux petits êtres de moins qu’elle n’en renfermait autrefois… Chérie et son infortunée bonne, Tattycoram ; mais elle nous paraît bien vide maintenant. Une fois en route nous ne savons pas quand nous reviendrons. Non, Arthur, me voilà bien décidé à me laisser remorquer par mère. »

Clennam pensa qu’en somme, ils se tireraient peut-être mieux d’affaire tout seuls, et il n’insista pas.

Si vous voulez bien venir ici de temps en temps et y rester pour vous reposer et changer d’air, lorsque cela ne vous ennuiera pas trop, reprit M. Meagles, je serai heureux… et mère aussi sera heureuse, j’en suis sûr… de penser que notre vieille demeure,