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servations et de ses désirs. D’ailleurs, en qualité de favorite, elle ne peut manquer de porter beaucoup d’affection à son père, et n’en sera que plus disposée à se soumettre à l’influence paternelle.

— J’y avais bien songé, madame ; mais… hem !… je craignais… hem !… d’empiéter sur…

— Sur mes terres, monsieur Dorrit ? suggéra gracieusement Mme Général ; du tout, du tout.

— Alors, avec votre permission, madame, continua M. Dorrit, secouant sa petite sonnette pour appeler son valet, je vais la faire venir. »

— Monsieur Dorrit désire-t-il que je sois présente à cet entretien ?

— Peut-être, si vous n’avez aucun autre engagement, voudrez-vous bien m’accorder quelques minutes…

— Je suis à vos ordres. »

Tinkler, le valet de M. Dorrit, fut donc chargé d’aller trouver la femme de chambre de Mlle Amy, avec prières à cette inférieure de prévenir sa maîtresse que M. Dorrit désirait lui parler. En donnant cet ordre à Tinkler, M. Dorrit fixa sur lui un regard scrutateur, et ne le quitta des yeux que lorsque l’autre eut disparu derrière la porte ; l’ex-doyen craignait que son domestique de confiance ne nourrît quelque pensée contraire à la dignité de la famille ; il tremblait même qu’avant d’entrer à son service il n’eût eu vent de quelque vieille plaisanterie des détenus, et qu’il ne fût en train d’évoquer ce souvenir dérisoire tandis que son maître lui donnait des ordres. Si, par hasard, Tinkler avait souri (quelque faible et innocent qu’eût été son sourire), rien au monde n’aurait jamais pu persuader à M. Dorrit qu’il se fût trompé. Mais Tinkler, qui, fort heureusement pour lui, avait une physionomie sérieuse et imperturbable, échappa au danger inconnu dont il était menacé. À son retour (lorsque M. Dorrit l’examina de nouveau), il annonça Mlle Amy d’un air si lugubre, qu’il laissa à M. Dorrit une vague impression qu’il était servi par un jeune homme d’une très-bonne tenue, élevé sans doute par une mère restée veuve qui n’avait pas négligé de lui apprendre son catéchisme.

« Amy, dit M. Dorrit, Mme Général et moi nous venons d’avoir une conversation à votre sujet : nous pensons tous deux que vous paraissez gênée ici… Hem !… comment cela se fait-il ? »

Un moment de silence.

« Je crois, père, qu’il me faut un peu de temps.

Papa est une expression préférable, remarqua Mme Général. Père est devenu bien commun ma chère. Le mot de papa donne d’ailleurs aux lèvres une assez jolie forme. Papa, pommes, poule, prunes et prismes sont des mots excellents pour former les lèvres, surtout prunes et prismes. Vous verrez combien c’est utile quand on veut prendre un certain maintien dans le monde… se présenter dans un salon, par exemple, de dire : Papa, pommes, poule, prunes et prismes.