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C’est ce qui fait que je ne suis jamais embarrassé. D’ailleurs, je vous le répète, je n’ai pas le choix, il faut que je parte tout de suite ; car je ne saurais vivre sans respirer librement, et je ne respirerai librement que lorsque Arthur sera sorti de cette prison. Tenez, j’étouffe tandis que je vous parle, et il me reste à peine assez de souffle pour vous déclarer que je n’en ai plus, et pour avoir le temps de descendre cette précieuse boîte jusqu’à votre voiture. »

Ils gagnèrent la rue au moment où la cloche commençait à retentir, M. Meagles portant la boîte. La petite Dorrit n’avait pas de voiture, ce qui étonna un peu papa Meagles. Il héla un fiacre, la fit monter dedans et plaça la boîte à côté d’elle lorsqu’elle fut assise. Dans sa joie et sa reconnaissance, elle porta la main du brave homme à ses lèvres.

« Non, non, je ne veux pas de ça, ma chère fille, dit M. Meagles. Vous me feriez de la peine, à me rendre ces hommages de respect que je ne mérite pas, et surtout de votre part… devant la grille de cette prison. »

Elle se pencha vers lui et l’embrassa sur la joue.

« Ah ! vous me rappelez le bon vieux temps, dit papa Meagles dont la gaieté s’évanouit tout d’un coup… mais elle aime beaucoup Henri, elle cache ses défauts et se figure que personne ne les voit… et puis, il appartient à une famille très-distinguée. »

C’était la seule consolation qu’il trouvât dans le mariage de sa fille ; et, s’il tirait de cette consolation légère le meilleur parti possible, qui donc aurait le courage de l’en blâmer ?




CHAPITRE XXXIV.

Adjugée !


C’était par un beau jour d’automne ; notre prisonnier, faible encore, mais en pleine convalescence, écoutait une voix qui lui faisait la lecture. Oui, par un beau jour d’automne, lorsque les champs, dépouillés de leurs moissons dorées, ont été labourés de nouveau, que les fruits d’été ont mûri et disparu, que les verts paysages de houblon ont été dévastés par une armée de vendangeurs empressés, que les pommes des vergers ont rougi aux baisers du soleil, et que les baies du sorbier apparaissent cramoisies au milieu du feuillage jaunissant. Déjà, dans les bois, on reconnaissait l’approche de ce vieillard endurci, qu’on nomme l’hiver, en apercevant, à travers les ouvertures inusitées du feuillage, une perspective nettement dessinée, débarrassée de la vapeur de l’été somnolent, voile aussi léger que le duvet qui recouvre la prune violette. De même l’océan,