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— Oui, monsieur.

— Eh bien, on m’a raconté, Tatty, qu’autrefois on ne la connaissait guère ici, que comme l’enfant de la prison. Elle est née ici, et y a vécu bien des années. Moi, je ne peux pas seulement y respirer. C’est un endroit bien triste pour y naître et pour y vivre.

— Oh oui, monsieur, bien triste !

— Si elle n’avait jamais songé qu’à elle-même ; si elle s’était dit que tout le monde lui reprochait d’être née ici, lui en faisant un crime et un opprobre, elle n’aurait pu mener qu’une existence malheureuse et probablement inutile. On m’a pourtant raconté, Tattycoram, que, dès son enfance, sa vie a été une vie d’active résignation, de bonté et de noble dévouement. Voulez-vous que je vous dise ce qu’il a fallu, selon moi, qu’elle se représentât toujours devant les yeux pour leur donner une telle expression de douceur ?

— Oui, monsieur, s’il vous plaît.

— Le devoir, Tattycoram, le devoir. Commençons de bonne heure à bien faire notre devoir ; et il n’y a pas d’antécédent, quelle que soit notre origine ou notre position, qui puisse prévaloir contre nous auprès du Seigneur ou auprès de nous-mêmes. »

Ils restèrent devant la croisée, où Mère, qui les avait rejoints, se mit à plaindre les pauvres prisonniers, jusqu’au moment où ils virent revenir la petite Dorrit. Elle fut bientôt auprès d’eux et leur conseilla de ne pas déranger cette nuit le détenu qu’elle avait laissé calme et tranquille.

« Très-bien, dit M. Meagles d’un ton encourageant. Vous avez raison, tout à fait raison. Je vous charge donc, ma bonne petite garde-malade, de me rappeler à son souvenir, et je sais que je ne puis pas choisir une meilleure messagère. Je me remets en route demain matin. »

La petite Dorrit, surprise, lui demanda où il comptait aller.

« Ma chère demoiselle, reprit M. Meagles, je ne puis pas vivre sans respirer. Or, la vue de cette prison m’a coupé la respiration, et je ne la retrouverai que lorsque Arthur sera hors d’ici.

— Est-ce là une raison pour repartir demain matin ?

— Vous allez voir, continua M. Meagles. Cette nuit, nous couchons dans un hôtel de la Cité. Demain matin, Mère et Tattycoram retourneront à Twickenham, où Mme Tickit, assise comme d’habitude à sa croisée du petit salon, en compagnie du docteur Buchan, les prendra pour deux revenants. Moi, je me mettrai en route pour aller trouver Doyce. Il faut absolument que Daniel vienne ici, car, je vous dirai, ma chère enfant, qu’il est parfaitement inutile d’écrire, de former des hypothèses et des plans conditionnels, sur telle ou telle chose qui doit arriver à telle ou telle époque : il faut avant tout que Doyce soit ici. Je veux demain matin, au point du jour, vous ramener l’ami Daniel. Qu’est-ce que cela me coûte d’aller le chercher ? Je suis un voyageur aguerri ; toutes les langues et toutes les coutumes étrangères ne m’embarrassent pas plus l’une que l’autre… je n’en comprends pas une.