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La vieille Affery, qui était allée les chercher à la prison et qui les avait aperçues au loin sur le pont, arriva juste à temps pour recevoir sa maîtresse dans ses bras, pour aider à la transporter dans une maison voisine et pour commencer à lui donner les soins qu’elle lui prodigua avec fidélité jusqu’au dernier moment.

La cause de tous les bruits mystérieux qu’elle avait entendus n’était plus un mystère ; Affery, semblable en cela à beaucoup d’intelligences supérieures, avait avancé des faits d’une exactitude parfaite, mais dont elle avait seulement tiré de fausses inductions.

Lorsque l’orage de poussière se fut dissipé et que la nuit d’été eut retrouvé sa sérénité, une foule de curieux vint encombrer toutes les avenues, et il se forma des groupes de travailleurs qui se relayaient pour opérer les fouilles. La rumeur publique, qui exagère tout, répandit d’abord le bruit qu’il se trouvait cent personnes dans la maison lorsqu’elle s’était écroulée ; il n’y en eut bientôt plus que cinquante ; il finit par se confirmer qu’il y en avait au moins deux. Il fallut bien se contenter de ce chiffre. Les deux victimes étaient le visiteur étranger et M. Flintwinch.

Les travailleurs creusèrent pendant toute la durée de cette courte nuit à la clarté de becs de gaz flamboyants ; ils travaillaient encore à la lueur horizontale du soleil levant ; puis plus bas, plus bas encore que l’astre à mesure qu’il remontait à son zénith ; puis diagonalement, à mesure qu’il baissait, puis encore une fois à la lueur horizontale du soleil couchant. On continua bravement d’enlever à pleines pelletées, les décombres dans des charrettes, dans des brouettes et dans des paniers, jour et nuit sans s’arrêter ; mais ce ne fut qu’au milieu de la seconde nuit qu’on découvrit ce sale tas d’ordures de Rigaud, avant de pouvoir dégager la tête de ce gentilhomme pilée comme verre par la grosse poutre sous laquelle il gisait écrasé.

Pas de Flintwinch. Ils continuèrent plus bravement que jamais leurs fouilles, creusant nuit et jour sans s’arrêter. Le bruit courut que la maison avait de fameuses caves (ce qui était vrai) où le sieur Flintwinch se trouvait au moment de l’accident ; qu’il avait eu le temps de s’y réfugier, sans doute, et qu’il se tenait à l’abri sous une voûte solide. On prétendait même qu’il avait crié aux sauveteurs d’une voix caverneuse et étouffée :

« Je suis ici ! »

On disait, d’un bout de la ville à l’autre, que les travailleurs étaient parvenus à établir une voie de communication entre eux et l’associé de Mme Clennam, au moyen d’un tuyau qui leur avait également servi à lui faire passer de la soupe et de l’eau-de-vie, et que Jérémie leur avait crié avec beaucoup de vigueur :

« Bravo ! les amis, tout va bien : je n’ai de cassé que la clavicule. »

Les fouilles et l’enlèvement des décombres se poursuivirent sans relâche, jusqu’à ce qu’on eût déblayé toutes les ruines et mis les