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Il se fit encore en elle une sorte de lutte, puis elle courut à une armoire dont elle ouvrit violemment la porte pour y prendre un capuchon ou un châle dont elle se couvrit la tête.

La vieille servante, qui l’avait suivie des yeux avec terreur, s’élança au milieu de la chambre, saisit sa maîtresse par le pan de la robe et se jeta à ses genoux :

« Restez ! restez ! Que faites-vous ! Où allez-vous ? Vous êtes une femme terrible ; mais je ne vous garde pas rancune. Je ne puis rien faire pour ce pauvre Arthur, je le vois bien maintenant, et vous ne devez plus vous méfier de moi. Je garderai le secret. Restez, ou vous allez tomber roide morte dans la rue. Si c’est cette pauvre folle que l’on cache ici, promettez-moi seulement de m’en confier la garde et le soin. Je ne demande que cela, et vous pouvez compter sur moi. »

Mme Clennam demeura un instant immobile, malgré sa précipitation, et répondit d’un ton surpris :

« Si c’est elle que l’on cache ici ? Mais il y a plus de vingt ans qu’elle est morte ! Demandez à Flintwinch… demandez à cet homme. Ils vous diront tous les deux qu’elle est morte le jour où Arthur est parti pour la Chine.

— Tant pis alors ! s’écria la vieille servante, qui trembla de tous ses membres ; car elle hante la maison. Qui donc, si ce n’est elle, rôde partout ici et fait des signaux mystérieux en laissant tomber tout doucement des poignées de fine poussière ? Qui donc va et vient en traçant de longs zigzags sur les murs, lorsque nous sommes couchés ? Qui donc se tient si souvent derrière les portes pour nous empêcher de les ouvrir ? Restez… restez ! maîtresse, vous allez tomber roide morte dans la rue si vous sortez ! »

La maîtresse d’Affery se contenta de dégager le pan de sa robe des mains suppliantes qui cherchaient à la retenir, et, après avoir dit à Rigaud : « Attendez-moi ici ! » elle sortit en courant.

De la fenêtre ils la virent qui traversait la cour d’un air effaré et passait dans la rue.

Pendant quelques minutes ils demeurèrent immobiles. Affery fut la première à secouer cette torpeur ; elle se précipita hors de la chambre en se tordant les mains, et se mit à la poursuite de sa maîtresse. Puis Jérémie Flintwinch s’avança lentement et à reculons vers la porte, une main dans sa poche et l’autre à son menton, et disparut comme un serpent qui se tord, sans prononcer une seule parole.

Rigaud, resté seul, s’allongea sur le siège de la croisée ouverte, dans l’attitude qu’il affectionnait quand il était dans la prison de Marseille. Posant à côté de lui sa provision de cigarettes et son briquet, il se mit à fumer.

« Pouf ! fit-il, cette vieille maison est aussi triste que la satanée prison de là-bas. Il fait plus chaud ici ; mais c’est presque aussi lugubre. Que je l’attende ici ! Certainement que je l’attendrai. Mais où diable est-elle allée et combien de temps va-t-elle rester