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du Tout-Puissant, et de l’amour (elle a osé prononcer ce mot, en se traînant à mes pieds) avec lequel elle me l’avait cédé et abandonné, est-ce mon ennemie que j’ai foulée aux pieds, sont-ce les paroles de mon courroux à moi, qui l’ont fait pâlir et trembler ! Non, non, ce n’est pas à moi que revient la gloire d’une si juste expiation ! »

Il y avait bien des années que Mme Clennam n’avait eu le libre usage même de ses doigts ; mais on aurait pu remarquer qu’elle avait déjà plusieurs fois frappé la table avec son poing fermé, et qu’en prononçant ces dernières paroles elle avait levé son bras en l’air avec autant de facilité qu’autrefois.

« Et quelle preuve de repentir ai-je arrachée à cette femme perdue et dépravée ? moi, vindicative et implacable ! car il est possible que je le paraisse aux yeux de gens comme vous, qui n’avez pas vécu parmi les justes et ne connaissez d’autres commandements que ceux de Satan. Riez ! Flintwinch me connaît ; cela ne m’empêchera pas de me montrer telle que je suis, même devant vous et devant cette servante écervelée.

— Ajoutez : devant vous-même, madame, remarqua Rigaud. J’ai une vague idée que madame n’est pas fâchée surtout de se justifier à ses propres yeux.

— C’est faux ! cela n’est pas ! Je n’ai pas besoin de me justifier à mes propres yeux, s’écria Mme Clennam avec beaucoup d’énergie et de colère.

— Vraiment ? riposta Blandois. Ah !

— Quelle est l’œuvre de pénitence, je vous demande, que j’ai exigée de cette femme ? « Vous avez un enfant, lui dis-je, je n’en ai pas ; vous aimez cet enfant, donnez-le moi ; il se croira mon fils et il passera pour être à moi. Afin de vous épargner la honte d’un éclat, son père jurera de ne plus vous revoir, de ne pas correspondre avec vous. Afin d’empêcher son oncle de le déshériter et votre fils de devenir un mendiant, vous jurerez de ne jamais les revoir, de ne jamais leur écrire. À ces conditions, et lorsque vous aurez renoncé aux moyens d’existence que vous tenez de mon mari, je me charge de votre entretien. Vous laisserez ignorer le lien de votre retraite. Vous pourrez, si cela vous plaît, essayer de passer pour une honnête femme à tous les yeux, excepté aux miens… Voilà tout. » Elle a eu à sacrifier sa criminelle et honteuse passion : rien de plus. Elle a été libre, ensuite, de supporter en secret le fardeau de son crime et de mourir de chagrin ; d’échapper, grâce à une misère passagère (trop légère pour elle, à mon avis), à une souffrance éternelle en opérant son salut, s’il a plu au Seigneur de la toucher d’un rayon de sa grâce. Si je l’ai punie ici-bas, ne lui ai-je pas ouvert en même temps le chemin de la vie éternelle ? Si elle s’est vue poursuivie par une colère vengeresse et par des flammes dévorantes, est-ce moi qui les avais allumées ? Si je l’ai menacée, alors et plus tard, des terreurs qui devaient l’assaillir, est-ce donc moi qui les tenais dans ma main droite ? »