Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 2.djvu/309

Cette page a été validée par deux contributeurs.

à ruiner les autres par-dessus le marché. Jérémie Flintwinch est mon messager et mon représentant. Votre affectionnée, M. G. »

Clennam lut ces lignes deux fois, sans prononcer un mot, puis il déchira le papier en morceaux. Pendant qu’il lisait, Rigaud, grimpant sur un fauteuil, s’était assis sur le dos du meuble, les pieds appuyés sur l’étoffe qui tapissait le fond.

« Eh bien, beau Flintwinch, dit-il après avoir vu déchirer le billet, la réponse à ma lettre ?

Mme Clennam ne vous a pas écrit, monsieur Blandois, parce qu’elle a les mains crispées par la goutte et qu’elle a cru vous satisfaire aussi bien par une réponse verbale… M. Jérémie semblait tirer du fond de son gosier ces paroles péniblement et à contre-cœur… Elle vous présente ses compliments et dit qu’au bout du compte elle ne vous trouve pas trop exigeant et qu’elle accepte ; mais sans préjudice du rendez-vous qui tient toujours bon pour d’aujourd’hui en huit. »

M. Rigaud, après un nouvel accès de fou rire, descendit de son trône en disant :

« Bon, je vais chercher un hôtel ! »

Tandis qu’il parlait, son regard rencontra Cavalletto qui n’avait pas abandonné son poste.

« Allons, animal ! reprit-il. Tu m’as suivi contre mon gré : maintenant tu vas me suivre malgré toi. Quand je vous disais, mes petits reptiles, que je suis fait pour être servi ! J’exige que ce contrebandier devienne mon domestique pendant huit jours. »

Cavalletto interrogea du regard Clennam, qui lui fit signe qu’il pouvait accompagner Blandois, mais qui ajouta aussitôt :

« À moins, toutefois, que vous n’ayez peur de lui. »

Le petit Italien répliqua, avec un geste énergiquement négatif de son index :

« Non, maître, je n’ai plus peur de lui depuis que j’ai déclaré hardiment comment je l’ai eu un moment pour camarade. »

Rigaud ne daigna répondre à ce dialogue que lorsqu’il eut allumé sa dernière cigarette et qu’il fut tout prêt à partir.

« Peur de lui ? s’écria-t-il en les regardant l’un après l’autre. Pouh ! mes enfants, mes poupards, mes petites marionnettes, vous avez tous peur de lui. Vous venez de lui faire servir une bouteille de vin ici ; vous allez le nourrir et le loger à vos frais là-bas ; vous n’osez pas lever un doigt sur lui ni lui adresser une épithète malsonnante. Non. Il est dans son caractère de triompher partout. Pouh !

C’est un chevalier du roi,
Compagnons de la Marjolaine, etc. »

Après avoir ainsi appliqué le refrain à sa propre personne, il s’éloigna à grands pas, suivi de près par Cavalletto, dont il n’aurait peut-être pas exigé les services, s’il n’avait pas deviné qu’il ne serait pas facile de se débarrasser autrement du petit Italien.