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« Vilain oiseau de mauvais augure, s’écria Arthur, vous avez fait exprès de jeter un horrible soupçon sur la maison de ma mère. Pourquoi cela ? Qu’est-ce qui a pu vous suggérer cette idée diabolique ? »

M. Rigaud, après avoir froncé un instant les sourcils, se mit à rire.

« Écoutez donc ce noble gentilhomme ! Venez, tout le monde, écouter cet enfant de la vertu ! Ah çà ! prenez garde, prenez garde. Il est possible, mon ami, que votre vivacité soit un peu compromettante. Sacrebleu ! c’est que ça se pourrait bien !

— Signore ! interrompit Cavalletto, s’adressant aussi à Arthur, pour commencer, écoutez-moi ! Vous m’avez donné l’ordre de trouver ce Rigaud… n’est-il pas vrai ?

— C’est vrai.

— Je commence donc, conséquemmentalement… (Mme Plornish aurait été très-peinée de voir, entre autres erreurs de linguistique commises par son élève d’anglais, l’obstination de Baptiste à prolonger indéfiniment la queue des adverbes)… par aller parmi mes compatriotes. Je leur demande des nouvelles des Italiens récemmentalement arrivés à Londres ; puis je vais parmi les Français, puis parmi les Allemands. Ils me disent tout ce qu’ils savent. Mais !… personne ne peut rien m’apprendre de lui, du Rigaud que je cherche. À quinze reprises différentes, dit Cavalletto étendant trois fois le bras gauche et ouvrant trois fois la main avec tant de rapidité, qu’on avait peine à suivre le geste du regard, je demande après lui dans tous les endroits où se réunissent les étrangers, et quinze fois (Baptiste répète le même geste rapide) l’on ne peut rien me dire. Mais !… »

Tandis qu’il appuyait d’une façon tout italienne sur la syllabe mais ! il secoua l’index de sa main droite en arrière légèrement et avec beaucoup de précaution.

« Mais !… après avoir longtemps attendu sans pouvoir découvrir s’il est ici, à Londres, quelqu’un me parle d’un soldat en cheveux blancs… Eh ! eh !… non pas des cheveux comme ceux que vous lui voyez là… des cheveux blancs… qui loge dans un certain endroit secrètementalement ; mais !… qui quelquefois, après dîner, sort un peu pour fumer sa pipe. Il faut avoir de la patience, comme on dit en Italie, où on a tant besoin d’en avoir. Je prends donc patience ; je demande où est ce certain endroit ? L’un croit que c’est par ici, un autre dit que c’est par là : Eh bien, ce n’est ni par ici ni par là. J’attends patientissementalement ; enfin je trouve l’endroit. Alors je guette ; alors je me cache, jusqu’à ce qu’enfin il sort pour fumer sa pipe. C’est bien en effet le vieux soldat en cheveux gris qu’on m’avait annoncé… Mais… (un temps d’arrêt très-marqué et un mouvement très-significatif de gauche à droite et de droite à gauche, de l’index ramené derrière la tête)… c’est aussi l’homme que vous voyez là. »

Chose étonnante ! Sous l’empire de ses vieilles habitudes de sou-