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réparation, préjudice, monsieur, si ce n’est dans la bouche d’un avocat plaidant contre la partie adverse. Vous me pardonnerez si je crois de mon devoir de vous répéter combien il est dangereux de se laisser dominer par sa sensibilité !

— Monsieur Rugg, dit Clennam, à qui la résolution bien arrêtée d’exécuter la tâche qu’il s’était imposée parut rendre un peu de courage et qui étonna son interlocuteur en ayant l’air, malgré son état de prostration, d’avoir une volonté à lui, je crains que vous ne soyez pas disposé à adopter la marche que je suis décidé à suivre. Si votre désapprobation vous empêche de prendre les mesures nécessaires, j’en suis fâché, car il me faudra avoir recours à un autre conseil. Mais je crois devoir vous prévenir, avant d’aller plus loin, qu’il est parfaitement inutile de discuter avec moi là-dessus.

— Fort bien, monsieur, répondit Rugg en haussant les épaules, fort bien. Puisqu’il faut absolument que quelqu’un se charge de cette besogne, autant vaut que ce soit moi. Tel est le principe d’après lequel j’ai agi dans l’affaire Rugg et Bawkins. Tel est le principe d’après lequel j’agis presque toujours. »

Clennam confia alors à M. Rugg la détermination qu’il avait prise. Il lui dit qu’ayant pour associé un homme d’une grande simplicité et d’une grande droiture, il voulait avant tout faire honneur à son caractère et ménager ses sentiments. Il lui expliqua que Daniel Doyce étant alors absent pour affaires importantes, il se croyait tenu d’accepter publiquement le blâme mérité par son administration imprudente et d’exonérer publiquement son ami de toute responsabilité morale, pour que le succès des opérations de son associé ne fût pas compromis par le moindre soupçon de complicité de négligence dans la gestion des affaires de la maison. Il donna donc à M. Rugg la commission de décharger moralement, complétement et publiquement son associé, en déclarant que c’était lui, Arthur Clennam, de la maison Doyce et Clennam, qui avait, de son propre gré et même contre l’avis de son collègue, risqué les capitaux de l’association dans les spéculations frauduleuses de feu M. Merdle. Il ne pouvait pas offrir d’autre réparation ; c’était d’ailleurs la meilleure qu’il pût faire accepter à Daniel, dont il connaissait la délicatesse ; et c’est par là qu’il fallait commencer. Il avait l’intention de faire imprimer une déclaration à cet effet, qu’il avait déjà rédigée et qu’il comptait, non-seulement adresser à tous les clients de la maison, mais encore faire insérer dans les journaux. Outre cette mesure (dont les détails provoquèrent une foule de grimaces chez M. Rugg et lui donnèrent des inquiétudes continuelles dans les jambes), il voulait envoyer une circulaire à tous les créanciers pour disculper son associé d’une manière solennelle, leur annoncer que la maison allait être immédiatement fermée jusqu’à ce qu’ils eussent fait connaître leurs intentions, qu’il se soumettait d’avance à leur décision. Si, en considération de l’innocence de son associé, on s’arrangeait de façon à permettre à la maison de recommencer honorablement les affaires, il abandon-