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« C’est moi qui vous y ai décidé ; monsieur Clennam. Je le sais. Traitez-moi comme vous voudrez. Vous ne pourrez pas me dire plus d’injures que je ne m’en dis à moi-même. Vous ne pouvez pas m’en dire plus que je ne le mérite.

— Ô Pancks, Pancks ! répliqua Clennam. Ne parlez pas de ce que vous méritez. Et moi donc, qu’est-ce que je n’ai pas mérité !

— Ah ! vous méritiez d’être plus heureux, répondit Pancks.

— Moi, continua Clennam sans écouter cette réponse, moi qui ai ruiné mon associé ! Pancks Pancks, j’ai ruiné Doyce. Ce vieillard honnête, industrieux, infatigable, qui a travaillé toute sa vie durant, qui a lutté contre tant de déceptions, sans rien perdre de sa bonne et généreuse nature, pour qui j’avais tant de sympathie et que j’aurais voulu servir de toute mon âme, je l’ai ruiné… je l’ai plongé dans la honte et le déshonneur… ruiné, ruiné ! »

L’angoisse que cette pensée causait à Clennam était si pénible à voir que M. Pancks se saisit par les cheveux, et, dans son désespoir, se mit à les arracher par poignées.

« Faites-moi des reproches, s’écria-t-il. Faites-moi des reproches, monsieur, ou je vais me faire moi-même un mauvais parti. Appelez-moi imbécile, canaille. Dites-moi donc : vilain âne, comment as-tu pu faire cela ? tête de baudet, où avais-tu donc l’esprit ? Voyons, ne m’épargnez pas, dites-moi des sottises. »

Et tout en parlant ainsi, Pancks se tirait sans ménagement et sans pitié sa chevelure touffue.

« Si vous aviez résisté à cette fatale manie, Pancks, dit Arthur d’un ton où il y avait plus de pitié que de reproche, il est sûr que cela aurait beaucoup mieux valu pour vous… et pour moi !

— Encore, monsieur, s’écria Pancks, grinçant les dents de remords. Encore !

— Si vous n’aviez pas fait ces maudits calculs dont vous m’avez démontré l’exactitude avec une évidence si abominable, continua Clennam en gémissant, cela aurait mieux valu pour vous, Pancks, et pour moi !

— Encore, monsieur ! répéta Pancks, cessant de s’arracher les cheveux. Encore, encore ! »

Cependant, Arthur, qui n’en avait tant dit que pour calmer le coupable repentant, le voyant, en effet, plus tranquille, s’arrêta pour lui serrer la main, en ajoutant :

« Hélas ! j’étais un aveugle qui s’est laissé conduire par un aveugle, Pancks… Mais Doyce, Doyce, Doyce ; mon pauvre associé ! »

Il laissa retomber sa tête sur le pupitre. Pancks rompit de nouveau le silence et lui fit encore une fois relever la tête, en lui disant :

« Je ne me suis pas couché, monsieur, depuis que la nouvelle a commencé à se répandre. J’ai couru à droite et à gauche pour voir s’il n’y aurait pas moyen de sauver quelque chose du naufrage. Mais non : tout est perdu, tout a disparu.