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« Maintenant, Edmond, poursuivit-elle allongeant le bras et touchant son mari avec le bout de son éventail, ce que j’allais te dire quand tu as commencé, selon ta coutume, à m’ennuyer de tes discours, c’est que je prendrai des précautions pour me protéger contre le danger d’un tête-à-tête trop prolongé, et que, tant que les circonstances m’empêcheront de me présenter dans le monde, je ferai en sorte d’avoir toujours ici du monde, de manière ou d’autre ; car, je ne peux ni ne veux passer une autre journée aussi monotone que celle-ci. »

Monsieur approuva ce plan d’une façon très-laconique, puis il ajouta :

« D’ailleurs, tu sais que tu auras bientôt ta sœur…

— Chère petite, oui ! s’écria madame avec un soupir affectueux. Bonne petite sœur ! Non pas qu’Amy puisse suffire par sa seule présence… »

Monsieur allait dire : « Non ? » sur le ton de l’interrogation ; mais il reconnut tout de suite le danger d’une pareille ponctuation, et se reprit d’un ton convaincu :

« Oh non ! Certainement. Elle ne suffirait pas à elle seule !

— Non, Edmond. Car, non-seulement les vertus de cette chère enfant sont de cette nature calme et paisible qui a besoin d’être relevée par les contrastes ; il leur faut un entourage bruyant et animé qui les fasse éclater dans leur vrai jour pour qu’on les en aime davantage ; mais elle aura elle-même besoin d’être réveillée sous plus d’un rapport.

— Justement ! dit monsieur. Il faudra la réveiller.

— Voyons, Edmond ! Tu me fais perdre la tête avec ton habitude d’interrompre les gens quand tu n’as rien à dire. Il faudra voir à te corriger de cela… Mais revenons à cette chère petite… Elle était dévouée à papa, et sans doute elle aura été vivement peinée et l’aura beaucoup pleuré. C’est comme moi. J’ai tant souffert ! Mais sans doute Amy aura plus souffert encore que moi, vu qu’elle se trouvait là et qu’elle est restée avec notre pauvre cher papa jusqu’au dernier moment, tandis que, malheureusement, je n’y étais pas. »

Fanny s’arrêta pour pleurer et s’écrier : « Cher, cher, bien-aimé papa ! Quelles manières distinguées il avait ! Quelle différence avec notre pauvre oncle ! Il faudra donc, poursuivit-elle, tirer notre bonne petite chatte de son état de torpeur : d’autant plus que sa santé a dû souffrir d’avoir tant veillé pendant la longue maladie d’Édouard, qui n’est pas tout à fait rétabli, qui peut même rester malade longtemps encore, et qui, en attendant, nous cause de grands ennuis, en empêchant de régler les affaires de ce pauvre cher papa. Par bonheur, les papiers étant sous scellés et sous clef, chez les agents auxquels il les a confiés lors de son voyage providentiel à Londres, ses affaires sont dans un état qui permet d’attendre qu’Édouard reprenne assez de force en Sicile pour venir administrer, ou exécuter, ou faire ce qu’il a à faire.