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reculait devant l’opiniâtreté invincible de la paralytique au moment même où il lui semblait plus urgent que jamais de l’accomplir. Ses conseils, son énergie, son activité, sa fortune, son crédit, en un mot, toutes ses facultés et ses ressources échouaient contre cet obstacle. Si sa mère eût été douée de cette puissance qui, selon la Fable, permettait à celle qui la possédait de transformer en pierre quiconque la contemplait, elle ne l’aurait pas rendu plus impuissant lorsque, dans cette sombre chambre, elle tournait vers lui son visage inflexible. Tel est le sentiment qu’il éprouvait dans sa détresse.

Mais la révélation de Cavalletto, en répandant un nouveau jour sur toutes ces réflexions, le poussa à prendre un parti plus énergique. Fort de la droiture de ses intentions, stimulé par le pressentiment d’un danger imminent, il se décida à faire un dernier effort auprès de Mme Jérémie, dans le cas où sa mère refuserait encore d’aborder ce sujet. S’il pouvait décider la vieille servante à se montrer plus communicative et soulever le voile mystérieux qui enveloppait la maison, peut-être parviendrait-il enfin à dissiper l’espèce de paralysie morale qui, d’heure en heure, le gagnait davantage. Tel fut le résultat d’une journée d’inquiétude et de peine, telle fut la détermination qu’il mit à exécution le soir même.

Sa première contrariété, en arrivant chez sa mère, fut de trouver la porte ouverte et M. Flintwinch fumant sa pipe sur les marches. C’était déjà du guignon, car il y avait cent à parier que ce serait Mme Jérémie qui serait venue lui ouvrir. Mais, non, il fallait, par extraordinaire, qu’il trouvât la porte ouverte et M. Flintwinch fumant sa pipe sur les marches.

« Bonsoir, dit Arthur.

— Bonsoir, » répéta Jérémie.

La fumée sortait toute crochue de la bouche de Jérémie, comme si elle venait de se promener dans chacun des membres tortus du fumeur avant de ressortir par son col tors, pour se mêler à la fumée des cheminées tortueuses et aux vapeurs de la rivière qui n’était pas moins contournée.

« Avez-vous des nouvelles ? demanda Clennam.

— Nous n’avons pas de nouvelles, répondit M. Flintwinch

— Je veux dire des nouvelles de cet étranger, expliqua Clennam.

— C’est ce que je veux dire aussi ; nous n’avons pas de nouvelles de cet étranger, » ajouta Jérémie.

Il avait un profil si sinistre avec le nœud de sa cravate sous son oreille, que Clennam se demanda (et ce n’était pas la première fois qu’il s’adressait cette question) si Flintwinch n’aurait pas eu, par hasard, quelque motif personnel pour faire disparaître Blandois. Ne s’agissait-il pas du secret, de la sécurité de Jérémie ? Il était petit et courbé, il semblait peu capable de déployer une activité bien vigoureuse ; mais il était aussi coriace qu’un vieil if et aussi madré qu’un vieux corbeau. Un pareil homme, en arrivant derrière un en-