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— Qu’avez-vous donc ?

— Monsieur ! vous savez où j’ai entendu cette chanson la dernière fois ? »

Puis, avec la vivacité des gens de sa nation, il décrivit un grand nez aquilin, ramena ses yeux plus près l’un de l’autre, ébouriffa ses cheveux, gonfla sa lèvre supérieure pour représenter une épaisse moustache, et jeta par-dessus ses épaules l’extrémité d’un manteau imaginaire. Tandis qu’il exécutait cette pantomime avec une rapidité incroyable pour quiconque n’a jamais observé un paysan italien, il imita un sourire remarquable et sinistre. Toute cette pantomime ne dura guère plus longtemps qu’un éclair, et déjà Cavalletto, redevenu lui-même, se tenait pâle et surpris devant son protecteur.

« Au nom du ciel ! qu’est-ce que cela veut dire ? demanda Clennam. Est-ce que vous connaîtriez un homme du nom de Blandois ?

— Non ! répondit Cavalletto secouant la tête.

— L’homme que vous venez de me décrire est bien celui qui était présent lorsque vous avez entendu cette chanson, n’est-il pas vrai ?

— Oui ! fit M. Baptiste.

— Et il ne se nommait pas Blandois ?

— Non ! Altro, altro, altro, altro ! »

M. Baptiste semblait ne pas pouvoir mettre assez d’énergie dans cette dénégation, bien que sa tête et l’index de sa main droite le répétassent à la fois.

« Attendez ! s’écria Clennam, dépliant une affiche et l’étendant sur son bureau. N’était-ce pas cet homme-là ? Vous pourrez comprendre ce que je vais vous lire tout haut ?

— Très-bien. Parfaitement.

— Mais, tenez, lisez en même temps. Venez ici et regardez pendant que je lirai à haute voix. »

M. Baptiste s’approcha, suivit chaque mot avec des yeux pleins de vivacité, écouta jusqu’au bout avec beaucoup d’impatience, puis posa les deux mains à plat sur l’imprimé comme pour écraser avec une joie féroce un animal nuisible, et s’écria en regardant Arthur :

« C’est bien lui. C’est lui !

— Cette découverts est plus importante pour moi que vous ne sauriez le croire, dit Clennam d’une voix agitée. Dites-moi tout ce que vous savez de cet homme. »

M. Baptiste, lâchant l’affiche lentement, et d’un air déconcerté, recula de quelques pas, s’épousseta les mains, et répondit comme à contre-cœur :

« À Marsiglia… Marseille.

— Que faisait-il ?

— Prisonnier, et… altro !… je crois bien que c’était un… (M. Baptiste se rapprocha avant d’ajouter tout bas) : un assassin ! »