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avaient frappé sa vue, ce fut le tour de ses vêtements à attirer son attention ; et il est assez probable que son existence fut prolongée de quelques jours par la satisfaction qu’il éprouva de les voir porter, un à un, à quelque mont-de-piété imaginaire.

Ce fut ainsi que la petite Dorrit resta, pendant dix jours, penchée sur le lit du malade, la tête sur le même oreiller. Parfois elle était si fatiguée qu’elle s’endormait aussi. Puis elle se réveillait pour se rappeler, en versant d’abondantes larmes, quel était ce visage qui touchait le sien, pour voir tomber peu à peu sur les traits chéris assoupis contre cet oreiller une ombre plus profonde que celle des murs de la prison de la Maréchaussée.

Petit à petit, on vit s’effacer, l’un après l’autre, jusqu’aux derniers dessins de ce superbe château en Espagne. Petit à petit, le visage ridé où ce plan se développait naguère devint calme et uni. Petit à petit, la réflexion des barreaux de la prison et des pointes en zigzag qui en couronnaient les murs disparut aussi. Petit à petit, la physionomie du vieillard, rajeunie par sa fin prochaine, ressembla plus que jamais, sous ses cheveux blancs, à celle de la petite Dorrit et s’affaissa dans le repos suprême.

D’abord le pauvre Frédéric en perdit presque la tête :

« Ô mon frère ! William, William ! Comment as-tu pu partir avant moi ! Comment as-tu pu partir sans moi ! Mourir le premier, toi si supérieur, si distingué, si noble ; me laisser là, moi, pauvre créature, qui ne suis bon à rien et qui n’aurais laissé de regret à personne ! »

Au premier moment cela fit du bien à la petite Dorrit d’avoir à s’occuper de quelqu’un, à consoler quelqu’un.

« Mon oncle, mon cher oncle, ne vous désolez pas ainsi ! Épargnez-moi ! »

Le vieillard ne fut pas sourd à ces dernières paroles. Lorsqu’il commença à se contraindre, ce fut afin de ne pas augmenter la douleur de sa nièce. Il ne songeait pas à lui-même ; mais il honorait et bénissait la petite Dorrit avec tout ce qui restait de force à son cœur, longtemps enseveli dans la peine, et qui ne se retrouvait un moment pour que se briser tout à fait.

« Ô mon Dieu ! s’écria-t-il avant de quitter la chambre, joignant ses mains ridées qu’il étendit sur la tête d’Amy. Mon Dieu, vous voyez cette enfant de mon frère mort ! Tout ce que je n’ai fait qu’entrevoir avec mes yeux de pêcheur aveugle, vous, vous l’avez vu clairement, dans la splendeur de votre sagesse ! Vous ne souffrirez pas qu’il tombe un seul cheveu de sa tête ! Vous la soutiendrez jusqu’à sa dernière heure, comme je sais qu’un jour vous la récompenserez dans l’éternité ! »

Jusqu’à près de minuit, ils se tinrent, tranquilles et tristes, dans une sombre salle, voisine de la chambre mortuaire. De temps à autre la douleur du vieillard cherchait quelque soulagement dans quelque explosion de sentiment pareille ; mais, outre que sa faiblesse n’eût pas longtemps résisté à de pareils éclats, il n’avait pas