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tinuer à mériter vos bonnes grâces lorsque j’aurai quitté la maison paternelle, et je souhaite, madame, que ma sœur soit pendant bien longtemps encore l’objet de votre affectueuse condescendance. »

Après avoir prononcé ce discours avec une extrême politesse, Fanny s’éloigna de l’air le plus élégant et le plus enjoué du monde, pour monter l’escalier quatre à quatre et se précipiter, quand on ne put plus l’entendre, le teint très-animé, chez sa sœur, qu’elle traita de petite marmotte, et qu’elle secoua afin de lui faire ouvrir les yeux et les oreilles, tandis qu’elle lui racontait ce qui venait de se passer et lui demandait ce qu’elle pensait maintenant des manœuvres de Mme Général.

Vis-a-vis de Mme Merdle, Fanny se comporta avec beaucoup d’aisance et de sang-froid, mais sans risquer encore une déclaration de guerre. De temps en temps ces deux dames préludaient par de légères escarmouches, surtout lorsque Fanny se figurait que sa future belle-mère voulait se donner des airs protecteurs ou bien qu’elle paraissait plus jeune ou plus belle qu’à l’ordinaire. Mais Mme Merdle mettait bien vite un terme à ces passes d’armes en s’enfonçant dans ses coussins d’un air de gracieuse indolence et en passant à un autre sujet de conversation. La Société (car cette mystérieuse abstraction habitait aussi les sept collines) trouva que Mlle Fanny avait beaucoup gagné depuis les fiançailles. Elle était plus abordable, moins réservée, plus séduisante et moins exigeante : aussi avait-elle maintenant une foule d’adorateurs et d’admirateurs, ce qui indignait les familles où il y avait des filles à marier ; ces demoiselles surtout s’insurgeait contre la Société, complice de cet attentat, et arboraient décidément l’étendard de la révolte. Heureuse de l’agitation qu’elle causait, non-seulement Mlle Dorrit se pavana devant le grand monde dans sa propre personne, mais elle mettait beaucoup d’orgueil et d’ostentation à traîner à sa suite son captif, Edmond Sparkler : « Voyez ! avait-elle l’air de dire à chacun : si je juge à propos de me montrer à vous dans cette pompe triomphale, suivie de ce faible prisonnier qui porte mes chaînes, lorsque j’aurais pu orner mon triomphe d’un captif plus vigoureux, c’est qu’apparemment cela me plaît : je n’ai pas d’autre compte à vous rendre. »

M. Sparkler, pour sa part, ne demandait pas d’autre explication. Il allait où on le menait et faisait ce qu’on lui disait ; car il sentait que pour lui il n’y avait pas de moyen plus commode d’arriver à la considération que d’être considéré pour sa femme ; et il était fort reconnaissant qu’à ce prix on voulût bien faire attention à lui.

Cependant l’hiver s’écoulait, le printemps approchait, et M. Sparkler était obligé de retourner en Angleterre pour y reprendre son siège au parlement et ses fonctions au ministère, où l’on attendait après lui pour développer et diriger le génie, la science, le commerce, le courage et le bon sens de la nation. Les compatriotes de Shakespeare, de Milton, de Bacon, de Newton, de Watt, d’une légion de philosophes passés et présents, de physiciens, de chimistes