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avait des instants où Fanny ne pouvait souffrir l’imbécillité de son amoureux, et où elle était si impatientée qu’on s’attendait à le lui voir congédier pour de bon. D’autres fois, elle prenait beaucoup mieux la chose : elle avait l’air de s’en amuser et de trouver dans le sentiment de sa propre supériorité une sorte de compensation pour ce qui manquait dans l’autre plateau de la balance. Si M. Sparkler n’eût pas été le plus fidèle et le plus soumis des soupirants, il se serait enfui du théâtre de ses épreuves et aurait mis entre lui et son enchanteresse toute la distance qui sépare Rome de Londres. Mais il n’avait pas plus de volonté que le navire remorqué par un vapeur, et il continuait à suivre sa cruelle maîtresse, que la mer fût calme ou houleuse, entraîné par une puissance irrésistible.

Mme Merdle, pendant ces préliminaires, parlait fort peu à Fanny, mais elle parlait d’elle assez souvent. Elle se trouvait, pour ainsi dire, forcée, malgré elle, de la regarder à travers son lorgnon et de se laisser arracher, dans le cours de la conversation, des louanges involontaires, en apparence, comme s’il n’y avait pas moyen de résister à la beauté victorieuse de Mlle Dorrit. L’air de défi avec lequel Fanny entendait ces louanges (car je ne sais comment cela se faisait, mais elle manquait rarement de les entendre), n’annonçait pas qu’elle fût disposée à faire la moindre concession en faveur de la Poitrine impartiale ; mais la plus grande vengeance que se permit la Poitrine était de dire tout haut :

« Une enfant gâtée… mais avec ce visage et cette tournure, comment ne l’aurait-on pas gâtée ? »

Un mois ou six semaines environ après le soir de la consultation en question, la petite Dorrit commença à trouver qu’il y avait une entente plus déclarée entre M. Sparkler et Fanny. M. Sparkler, comme s’il eût pris quelque engagement à cet effet, n’ouvrait jamais la bouche sans avoir regardé Fanny pour lui demander la permission de parler. Cette demoiselle était trop discrète pour répondre de vive voix à cette muette interrogation : mais, si elle voulait accorder à M. Sparkler le droit d’émettre une opinion, elle gardait le silence ; sinon, elle parlait pour lui. En outre, lorsque Henry Gowan renouvelait une de ses tentatives amicales pour mettre M. Sparkler en évidence, il devenait clair comme le jour que la victime se tenait à présent sur ses gardes. Qui plus est, Fanny (sans la moindre intention de personnalité et par le plus pur des hasards, bien entendu) ne tardait pas à faire quelque allusion armée d’une pointe si acérée, que Gowan reculait comme un homme qui vient de mettre la main dans un guêpier.

Une autre circonstance, bien qu’assez insignifiante en elle-même, contribua beaucoup à augmenter les inquiétudes de la petite Dorrit. Les façons de M. Sparkler vis-à-vis d’elle changèrent tout à coup et devinrent fraternelles. Parfois, lorsqu’elle se trouvait au dernier rang de quelque cercle distingué (chez son père, chez Mme Merdle ou ailleurs), elle sentait le bras de M. Sparkler se glisser furtivement autour de sa taille comme pour la soutenir. Le jeune fonc-