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tion extrême, et qu’elle repoussât la petite Dorrit de la toilette devant laquelle elle cherchait, dans sa colère, à verser des larmes, déclarant d’une voix haletante qu’elle détestait tout le monde et qu’elle voudrait être morte.

« Chère Fanny, qu’as-tu donc ? Conte-moi tes peines.

— Ce que j’ai, petite taupe que tu es ? répondit Fanny. Si tu n’étais pas la plus aveugle des sœurs, tu n’aurais pas besoin de m’interroger. Il faut donc que tu n’aies pas d’yeux dans la tête pour m’adresser une pareille question ?

— Est-ce M. Sparkler, ma chérie ?

— Mô…si…eur Sparkler ? répéta Fanny d’un ton de mépris, comme si ce malheureux soupirant était le dernier individu sous le soleil auquel elle pût penser. Non, mademoiselle la chauve-souris, ce n’est pas mô…si…eur Sparkler. »

À peine avait-elle fait cette réponse qu’elle éprouva des remords d’avoir dit des sottises à sa sœur, déclarant avec force sanglots qu’elle savait fort bien qu’elle se rendait haïssable, mais que tout le monde s’entendait pour l’y réduire.

« Je crains que tu ne sois pas très bien portante ce soir, chère Fanny.

— Ta, ta, ta ! répliqua la sœur aînée se mettant de nouveau en colère. Je me porte aussi bien que toi. Peut-être même devrais-je dire beaucoup mieux que toi… et encore, il n’y aurait pas là de quoi me vanter. »

La pauvre petite Dorrit, ne sachant pas trop comment s’y prendre pour offrir des consolations qu’on ne repoussât pas, finit par penser qu’elle ferait mieux de se tenir tranquille. D’abord le silence d’Amy agaça Fanny autant que l’avaient fait ses questions. Elle dit à son miroir que, de toutes les sœurs agaçantes, la plus agaçante était une sœur qui était molle comme un chiffon ; qu’elle savait bien qu’elle montrait quelquefois un exécrable caractère ; qu’elle savait bien qu’on devait la détester ; que lorsqu’elle se rendait haïssable, rien ne lui ferait autant de bien que de se l’entendre dire, mais qu’étant affligée d’une sœur silencieuse, on ne le lui disait jamais, et que, par suite, elle était naturellement forcée et contrainte de se rendre désagréable. D’ailleurs (ajouta-t-elle d’un ton irrité, s’adressant toujours à son miroir), elle n’avait pas envie de demander pardon. Il ferait beau voir une sœur aînée s’abaisser sans cesse à demander pardon à sa cadette ! C’était là le fin mot, elle le savait bien, on avait le talent de l’obliger à se mettre dans une position dont elle ne pouvait sortir qu’en demandant pardon à sa cadette, bon gré mal gré. Enfin elle fondit en larmes, et lorsque sa sœur vint s’asseoir à côté d’elle pour la consoler, elle s’écria :

« Amy, tu es un ange ! Mais je vais te dire ce qui en est, ma chérie, continua-t-elle, lorsque sa sœur eut réussi à la calmer. Voici où nous en sommes. Ça ne peut pas durer longtemps comme ça, et il faut que ça finisse d’une façon ou d’autre. »

Comme cette déclaration était un peu un peu vague, quoique péremptoire, la petite Dorrit répondit :