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la causette roule sur mamselle Dorrit, ça lui fait doublement plaisir. Jamais Père n’a été en voix comme maintenant, poursuivit Mme Plornish avec des roulades dans sa propre voix, tant la bonne femme était heureuse et fière. Il nous a donné Tircis hier soir, et d’une telle façon que Plornish s’est levé pour lui adresser ce discours de l’autre côté de la table : « Jean Édouard Naudy, qu’il dit, jamais je ne vous ai entendu rossignoler aussi bien que vous venez de rossignoler ce soir. » N’est-ce pas bien agréable, monsieur Pancks ? Qu’en dites-vous ? »

M. Pancks, qui avait adressé au vieillard son ronflement le plus amical, fit une réponse affirmative et demanda en passant si ce joyeux petit gaillard d’Altro était rentré. Mme Plornish répondit : « Non, pas encore ; et cependant, en partant pour le West-End où il allait livrer de l’ouvrage, il nous avait dit qu’il serait revenu pour le thé. » Puis, en bonne hôtesse, Mme Plornish invita M. Pancks à pénétrer dans l’heureuse chaumière, où il rencontra l’aîné des jeunes Plornish qui arrivait de l’école. Ayant fait subir un examen amical à ce jeune étudiant, il apprit que les grands (qui écrivaient déjà en moyenne et qui en étaient à la lettre M) avaient eu en classe, ce jour-là, pour exemple, les mots : « merdle, millions. »

« À propos de millions, dit Pancks, comment vont les affaires, madame Plornish ? »

— Mais ça marche, ça marche, monsieur ; je n’ai pas à me plaindre, répliqua Mme Plornish… Cher père, vous qui avez tant de goût, seriez-vous assez bon pour aller arranger un peu la montre avant que nous prenions le thé ? »

Jean Édouard Naudy, enchanté du compliment, s’éloigna au petit trot pour exécuter cette commission. Mme Plornish, qui tremblait d’entrer dans aucun détail pécuniaire devant le vieux gentleman, de peur qu’au moindre aveu de sa part, il ne se crût obligé d’honneur à s’enfuir et à rentrer au Workhouse, se trouva libre de faire en son absence des confidences à M. Pancks.

« Il est très vrai que le commerce marche comme sur des roulettes, reprit Mme Plornish, baissant la voix ; car nous avons une nombreuse clientèle, et sans le crédit, monsieur, tout irait bien. »

Cet inconvénient économique dont souffraient la plupart des gens qui avaient des rapports mercantiles avec les locataires de la cour du Cœur-Saignant, était une grosse pierre d’achoppement pour le commerce de Mme Plornish. Lorsque M. Dorrit avait lancé cette dame dans le débit des denrées coloniales, les Cœurs Saignants avaient témoigné une ferme résolution de la soutenir dans son commerce ; ils y avaient mis une louable émulation qui faisait honneur à la nature humaine. Reconnaissant qu’une femme qui vivait depuis si longtemps parmi et comme eux avait droit à leur appui, ils s’étaient empressés de lui donner leur pratique, et ils avaient juré de ne protéger aucun établissement rival. Animés par ses nobles sentiments, ils allaient même jusqu’à faire des extras,