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compté parmi les pauvres diables dont l’artiste venait de parler. Celui-ci eut à peine terminé son discours que le vieillard prit la parole d’un air de dignité extrême ; on eût dit que le vieillard prit la parole d’un air de dignité extrême. On eût dit qu’il se croyait tenu de prendre partout le haut du pavé, et qu’il se reprochait d’avoir négligé son devoir depuis le commencement du repas.

Il témoigna à leur hôte, en phrases plates et lourdes, la crainte que la vie qu’il menait au sommet de la montagne ne fût assez triste en hiver.

L’hôte concéda à monsieur que son existence était en effet un peu monotone durant cette époque. L’air du dehors était difficile à respirer longtemps de suite. Le froid devenait intense. Il fallait être jeune et vigoureux pour y résister ; mais avec de la jeunesse, de la vigueur, et la bénédiction du ciel…

« Oui, très bien ; mais ce long emprisonnement ? interrompit le gentleman aux cheveux gris.

— Il y a bien des jours, même durant la plus mauvaise saison, où l’on peut se promener au dehors. Nous avons l’habitude de tracer un petit sentier où nous prenons de l’exercice.

— Mais l’espace ? objecta le gentleman aux cheveux gris. L’espace est si étroit, si hem !… si limité !

— Monsieur voudra bien se rappeler qu’il y a les refuges à visiter, et qu’il faut aussi tracer des sentiers jusque-là. »

Monsieur objecta encore, d’un autre côté, que l’espace était si… hem !… si extrêmement restreint. Et puis, c’était toujours la même chose, toujours la même chose.

L’hôte, avec un sourire qui semblait réclamer l’indulgence de son interlocuteur, leva et baissa doucement les épaules.

« Ce que dit monsieur est très-vrai, remarqua-t-il ; mais tout dépend du point de vue où l’on se met pour envisager les choses. Monsieur et moi nous ne pouvons envisager cette existence du même point de vue. Monsieur n’est pas habitué à la réclusion.

— Je… hem !… Oui, c’est très-juste, répondit le gentleman aux cheveux gris, qui parut frappé de ce dernier argument.

— Monsieur, en sa qualité de touriste anglais, possédant les moyens de voyager agréablement, ayant sans doute une grande fortune, des voitures, des domestiques…

— Certainement, certainement, sans doute, répliqua le gentleman.

— … Monsieur aurait de la peine à se mettre à la place d’une personne qui n’a pas le droit de dire : « Demain j’irai à tel endroit, après-demain à tel autre ; je franchirai telle barrière, je reculerai telle limite. » Monsieur ne peut guère se figurer que l’esprit se résigne à pareil esclavage sous la dure loi de la nécessité.

— Vous avez raison, dit monsieur. Nous laisserons là… hem !… ce sujet de conversation. Ce que vous venez de dire est… hem !… parfaitement exact ; me voilà convaincu. N’en parlons plus. »