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« Et Venise ? Je crois que vous y avez été… Pourquoi donc la tragédie de je ne sais plus qui appelle cette ville Venise sauvée ? A-t-elle été bien ou mal sauvée ? On est si peu d’accord sur ces choses-là !… Et leur macaroni, le mangent-ils vraiment comme les jongleurs avalent leurs épées ? pourquoi ne le coupent-ils pas plus menu ?… Vous connaissez, Arthur… cher Doyce et Clennam… du moins pas cher, et dans tous les cas pas cher Doyce, car je n’ai pas le plaisir de le connaître… mais vous m’excuserez… Vous connaissez, je crois Mantoue, et quel rapport y a-t-il entre cette ville et nos mantes… je n’ai jamais pu le deviner ?

— Je crois qu’il n’existe aucun rapport, Flora, commença Clennam ; mais Flora lui coupa de nouveau la parole.

— En vérité… vous m’étonnez… mais je n’en fais jamais d’autres… ; lorsque je me mets une idée dans la tête, comme je n’en ai pas à revendre, je la garde… Hélas, il fut un temps, cher Arthur (c’est-à-dire certainement pas cher, ni Arthur non plus, mais vous me comprenez), où une idée lumineuse dorait l’horizon de nos jeunes… etc., mais un sombre nuage est venu l’envelopper et tout est fini. »

On lisait si clairement sur les traits d’Arthur qu’il désirait aborder un sujet de conversation tout à fait différent, que Flora s’arrêta enfin en lui lançant un tendre regard et lui demanda ce qu’il avait à lui dire.

« J’ai le plus vif désir, Flora, de causer avec une personne qui se trouve en ce moment chez vous… avec M. Casby sans doute. Une personne que je viens de voir entrer ici, et qui sous l’influence de mauvais conseils, s’est enfuie de chez un de mes amis.

— Papa voit tant de monde et de si drôles de gens, répondit Flora en se levant, que je ne me permettrais pas de descendre chez lui pour tout autre que pour vous, Arthur… mais pour vous, je descendrais volontiers dans une cloche à plongeur… à plus forte raison dans une salle à manger : je vais être revenue dans l’instant… voulez-vous bien, en mon absence, veiller, sans en avoir l’air, sur la tante de M. Finching ? »

À ces mots, et après avoir lancé à Clennam un regard plein de tendresse. Flora s’éloigna tout empressée le laissant en proie à de terribles appréhensions, à propos du précieux dépôt qu’on venait de confier à sa garde.

Le premier changement qui se manifesta dans la conduite de la tante de M. Finching, lorsqu’elle eut achevé sa seconde rôtie, fut un reniflement aussi bruyant que prolongé. Comme il n’y avait pas moyen d’interpréter cette manifestation autrement que comme un défi, tant elle y mettait d’obstination menaçante, Clennam regarda cette dame excellente (quoique bien injuste dans ses préventions), dans l’espoir de la désarmer par une humble soumission.

« Allons, tâchez de ne pas me faire des yeux, s’écria la tante de M. Finching avec un tremblement qui avait l’air d’une déclaration de guerre. Prenez ça ! »