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Il continua son chemin, et Arthur l’accompagna.

« Mon frère, poursuivit le vieillard, s’arrêtant sur le seuil de la prison et se retournant lentement, habite ici depuis bien des années ; et, pour des motifs qu’il est inutile de vous expliquer maintenant, nous ne lui parlons guère de ce qui se passe en dehors de ces murs, même par rapport à nous. Soyez assez bon pour ne lui rien dire des travaux de couture de ma nièce. Soyez assez bon pour ne rien dire de plus que ce que vous verrez que nous en disons nous-mêmes : et alors vous ne risquerez pas d’aller trop loin. Maintenant, venez voir. »

Arthur le suivit à travers une allée étroite, au bout de laquelle il vit s’ouvrir une porte solide, après avoir entendu tourner une clef à l’intérieur. Ils purent alors passer dans une loge ou vestibule, qu’ils traversèrent pour arriver à une grille, et de là dans l’intérieur de la prison. Le vieillard, qui marchait toujours devant, de son pas traînard, se retourna avec sa démarche lente, roide et voûtée, lorsqu’ils arrivèrent auprès du guichetier de faction, comme pour présenter son compagnon. Le porte-clefs fit un signe de tête, et Arthur entra sans qu’on lui demandât chez qui il allait.

La nuit était sombre et les chandelles qui brillaient faiblement aux croisées de la prison, derrière une foule de vieux rideaux fripés et de persiennes délabrées, ne la rendaient pas beaucoup moins sombre. Quelques prisonniers flânaient encore çà et là, mais la plus grande partie de la population était rentrée dans ses foyers. Le vieillard, se dirigeant vers le côté droit de la cour, passa sous la troisième ou quatrième porte et commença à monter un escalier.

« L’escalier est un peu sombre, monsieur, dit-il ; mais vous ne rencontrerez aucun obstacle. »

Il s’arrêta un moment sur le palier du second étage, avant d’ouvrir une porte. Il ne l’eut pas plus tôt ouverte que le visiteur aperçut la petite Dorrit et s’expliqua pourquoi elle tenait tant à dîner toute seule. Elle avait rapporté la viande qu’elle aurait dû manger elle-même et elle était déjà en train de la faire réchauffer sur un gril, pour son père, qui, vêtu d’une vieille robe de chambre grise et d’une calotte noire, attendait son souper. Une nappe blanche couvrait la table devant laquelle il venait de s’asseoir ; fourchette, couteau, cuiller, salière, poivrière, verre et pot d’étain pour la bière, rien n’y manquait, pas même certains excitants variés, spécialement destinés à aiguiser l’appétit du doyen, tels que sa petite fiole d’essence de poivre rouge et une soucoupe où s’étalaient pour deux sous de cornichons.

La jeune fille tressaillit, devint très rouge, puis très pâle. Le visiteur, mieux encore par son regard que par le léger mouvement de la main dont il lui faisait signe de ne pas se déranger, la supplia de se rassurer et de n’avoir pas peur de lui.

« William, j’ai trouvé ce gentleman, dit l’oncle… M. Clennam, fils de l’amie de ma petite nièce que voilà… dans la rue, désireux de vous présenter ses respects en passant, mais hésitant s’il devait entrer ou rester à la porte. Vous voyez mon frère William, monsieur.