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LA PETITE DORRIT


un peu la jolie vie qu’on menait dans la cour ! Voilà les filles et leurs mères cousant, bordant des souliers, brodant en faisant des gilets du matin jusqu’au soir, pour arriver à ne pas mourir de faim, et n’y réussissant pas toujours. Voilà des ouvriers de presque tous les métiers possibles, qui ne demandent pas mieux que de travailler et qui ne trouvent pas d’ouvrage ! voilà des vieillards qui, après avoir travaillé toute leur vie, sont obligés de se laisser renfermer dans le dépôt de mendicité, où ils sont moins bien logés et plus mal nourris que des malfaiteurs. Ma parole d’honneur, un homme ne savait de quel côté se retourner pour ramasser une miette de consolation. Quant à savoir à qui la faute, Plornish n’en savait rien : il pouvait bien vous dire qui est-ce qui souffrait, mais non pas qui est-ce qui faisait souffrir les autres. Ce n’était pas à lui à faire cette découverte-là ; et quand il la ferait, qui est-ce qui voudrait l’écouter ? Seulement, il voyait bien que ceux qui se chargeaient de ce genre de besogne ne remédiaient pas au mal, et que le mal ne disparaissait pas de lui-même. Bref, son opinion illogique était que ce n’était pas la peine de l’imposer pour faire une besogne qui ne se faisait pas ; ses idées n’allaient pas au delà. Voilà comme, à sa manière, dans son langage prolixe, mécontent, mais sans colère, Plornish, qui n’était pas un génie, cherchait à démêler l’écheveau embrouillé de sa position sociale, semblable à un aveugle qui chercherait une aiguille dans une botte de foin, jusqu’au moment où le cabriolet s’arrêta devant la prison de la Maréchaussée. Là, il quitta son patron, occupé pendant ce temps-là à se demander combien de milliers de Plornish il pouvait y avoir à une journée ou deux de distance du ministère des Circonlocutions, jouant le même air avec variation, sans que cette glorieuse institution en entendît seulement le refrain arriver jusqu’à ses oreilles.






CHAPITRE XIII.

Patriarcal.


Le nom de M. Casby avait ravivé dans la mémoire de M. Clennam une étincelle de curiosité et d’intérêt sur laquelle Mme Jérémie Flintwinch avait déjà soufflé le soir de son arrivée. Flora Casby avait été la bien-aimée de son adolescence ; c’était la fille et l’unique enfant du vieux Christophe Tête de Bois (sobriquet donné à M. Casby par certains esprits irrévérencieux qui se trouvaient en relations d’affaires avec lui, et chez qui la familiarité avait, comme on dit, engendré le mépris). M. Casby passait pour être fort riche en locataires hebdomadaires, et pour tirer, en dépit du proverbe, des pierres de diverses