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dans celui-là et évincés par cet autre, se voient enfin renvoyés au ministère des Circonlocutions pour ne plus reparaître jamais. Les commissions se rassemblent pour examiner la question, les secrétaires rédigent des minutes, les rapporteurs bredouillent, les ministres enregistrent, prennent des notes, paraphent, et on s’en tient là. En un mot, toutes les affaires du pays traversent le ministère des Circonlocutions, excepté celles qui n’en sortent jamais, et celles-là sont innombrables.

Parfois quelques esprits courroucés interpellent le ministre des Circonlocutions. Parfois des questions parlementaires, ou des motions ou des menaces de motions s’élèvent à ce sujet, émanées de démagogues assez vulgaires et assez ignorants pour soutenir que l’art de bien gouverner ne consiste pas à tout entraver. Alors quelque noble lord ou quelque très honorable gentleman, auquel est confié le soin de défendre le ministère des Circonlocutions, met dans sa poche une orange de discorde et transforme la chambre en un champ de bataille. Alors on le voit se lever en frappant la table d’une main indignée et combattre face à face l’honorable préopinant. Alors l’orateur ministériel se présente pour apprendre à l’honorable préopinant que l’administration des Circonlocutions, loin de mériter le plus léger blâme, est digne des plus grands éloges, et qu’on ne saurait lui en accorder assez ; que le ministère des Circonlocutions a toujours eu raison envers et contre tous, mais que jamais il n’a eu plus complétement raison qu’en cette occasion. Alors il affirme que l’honorable préopinant eût fait preuve de plus de goût, de plus de talent, de plus de raison, de plus de bons sens, de plus de… tous les lieux communs du dictionnaire… en laissant le ministère des Circonlocutions tranquille, et en n’ouvrant pas la bouche à ce sujet. Et enfin, l’œil fixé sur un souffleur diplomatique, appartenant au ministère des Circonlocutions et assis au-dessous de la barre de la chambre, il écrase l’honorable préopinant par le récit officiel de la manière dont les choses se sont passées. Il arrive toujours de deux choses l’une : ou bien le ministère n’a rien à dire pour sa défense et s’acquitte de cette tâche avec son habileté ordinaire, ou bien le noble orateur se trompe, pendant une moitié de son discours et oublie l’autre moitié ; mais cela n’empêche pas une majorité accommodante d’approuver la conduite du ministère des Circonlocutions.

Cette administration a fini par devenir une si admirable pépinière d’hommes d’État, que plusieurs lords, aux allures roides et imposantes, passent pour des prodiges surhumains dans la pratique des affaires, rien que pour avoir dirigé pendant quelque temps le ministère des Circonlocutions et s’y être exercés dans l’art de mettre partout et toujours des bâtons dans les roues. Quant aux prêtres et aux initiés inférieurs de ce temple politique, ledit système a eu pour résultat de les diviser en deux camps, jusqu’au dernier des garçons de bureau ; les uns regardent le ministère des Circonlocutions comme une institution divine qui a le droit absolu de tout en-