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rester dans cette maison ; j’ai écrit à M. Rouncewell, qui doit arriver aujourd’hui, et c’est par affection pour vous, enfant, que je lui ai dit de venir. »

La jeune fille tout en larmes couvre de baisers la main de milady.

« Que deviendrai-je, dit-elle, quand je ne vous verrai plus ?

— Soyez heureuse, enfant ; soyez aimée, dit sa maîtresse en l’embrassant.

— Oh ! milady, pardonnez-moi cette liberté, mais j’ai pensé quelquefois que vous n’étiez pas heureuse ; le serez-vous davantage quand je ne serai plus ici ?

— Je vous ai dit, enfant, que c’était pour vous et non pour moi que j’avais fait cette démarche ; tout est fini, Rosa ; mes véritables sentiments à votre égard sont ceux que je viens de vous exprimer, non pas ceux que vous verrez tout à l’heure ; ne l’oubliez jamais, n’en dites rien à personne ; et que désormais toute relation soit rompue entre nous. »

Quand un peu plus tard milady sort de sa chambre, elle est plus froide, plus hautaine que jamais, et paraît aussi indifférente que si la passion, la tendresse et la pitié avaient disparu de la surface de la terre avec les autres monstres antédiluviens. M. Rouncewell est au salon, et c’est pour le recevoir qu’elle est sortie de chez elle ; mais avant d’aller trouver le maître de forges, elle désire parler à sir Leicester et se dirige vers la bibliothèque.

« Sir Leicester, j’aurais un mot à… mais vous êtes occupé.

— Du tout, ce n’est que M. Tulkinghorn. »

Toujours lui ! pas une minute de sécurité, un seul instant de repos.

« Mille pardons, lady Dedlock ; permettez que je me retire.

— Ce n’est pas nécessaire, » répond-elle en s’approchant d’un siège.

Le procureur lui avance un fauteuil en la saluant, et va se mettre dans l’embrasure d’une fenêtre, où, placé entre milady et les derniers rayons du couchant, il l’enveloppe de son ombre et répand la nuit devant elle, de même qu’il assombrit ses jours.

La rue sur laquelle donne la fenêtre où s’est retiré M. Tulkinghorn est triste et déserte ; deux rangées de maisons qui se regardent d’un air si glacial qu’on les croirait pétrifiées d’effroi, toutes d’une pièce plutôt que bâties, dans l’origine, avec les pierres isolées qui les composent ; de grands hôtels d’une sévérité effrayante,