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les nuages dorés dans le ciel, quoiqu’il eût eu souvent sous les yeux des images pareilles auparavant à l’horizon ? Ou bien était-ce leur vie misérable et pauvre qui, par contraste, lui avait, depuis longtemps, mis cette idée dans la tête ? Ou bien fallait-il croire, comme il le pensait, que c’était l’assentiment fortuit donné par l’aveugle à ces pensées, qu’il couvait dans son esprit qui l’avait décidé ? Serait-ce, enfin, qu’il avait été frappé davantage de cette circonstance, parce que c’était le premier aveugle avec lequel il avait jamais fait conversation ? C’était un mystère pour la mère. Elle fit tout ce qu’elle put pour obtenir quelque éclaircissement, mais ce fut en vain : il est probable que Barnabé lui-même ne s’en rendait pas compte.

Elle était très-malheureuse de lui voir toucher cette corde ; mais tout ce qu’elle pouvait faire, c’était de l’amener doucement à quelque autre sujet pour chasser celui-là de son esprit. Quant à le mettre en garde contre leur visiteur, à montrer quelque crainte ou quelque soupçon à cet égard, elle craignait que ce ne fût plutôt le moyen de redoubler l’intérêt que lui portait déjà Barnabé, et de lui faire souhaiter davantage la rencontre après laquelle il soupirait ; elle espérait, en se plongeant dans la foule, échapper à la poursuite terrible qu’elle fuyait ; puis ensuite, en s’échappant de Londres avec précaution pour aller plus loin, elle voulait, si c’était possible, aller encore chercher une retraite inconnue où elle pût trouver la solitude et la paix.

À la fin, ils arrivèrent à la station où on devait les déposer, à dix milles de Londres, et y passèrent la nuit, après avoir fait marché avec un autre voiturier, moyennant peu de chose, pour se faire emmener le lendemain dans une carriole qui s’en retournait à vide, et qui devait partir à cinq heures du matin. Le voiturier fut exact, la route était bonne, sauf un peu de poussière que la chaleur et la sécheresse rendaient étouffante ; et, à sept heures du matin, le 2 juin 1780, qui était un vendredi, ils mirent pied à terre au bas du pont de Wesminster, prirent congé de leur conducteur, et se trouvèrent seuls ensemble sur le pavé brûlant ; car la fraîcheur que la nuit répand sur ces carrefours populeux était déjà partie, et le soleil brillait dans tout son lustre.