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blait dire : « Avec cela que je suis un beau garçon pour triompher !

— Oui, votre triomphe, criait-elle, toujours de tout son cœur et de toute son âme, qui éclataient dans sa voix et dans les larmes dont étaient inondées ses joues, car c’en est un. Je suis heureuse de penser et de reconnaître que c’en est un. Je ne voudrais pas pour tout au monde me sentir moins humiliée…. Oh non ! je ne voudrais pas avoir perdu le souvenir de ce dernier soir où nous nous sommes entretenus ici même…. non, non, quand même je pourrais effacer le passé de ma mémoire, et qu’il dépendrait de moi que ce fût hier seulement que notre séparation eût eu lieu. »

Jamais vous n’avez vu regard d’amoureux comme celui de Joe en ce moment.

« Cher Joe, dit Dolly, je vous ai toujours aimé… oui, dans le fond du cœur je vous aimais toujours, malgré ma vanité et mes étourderies. J’avais espéré que vous reviendriez ce soir-là. Je m’étais figuré que vous n’y manqueriez pas. J’en ai fait au ciel la prière à deux genoux. Et dans tout le cours de ces longues, longues années que vous avez passées loin de moi, jamais je n’ai cessé de penser à vous, et d’espérer qu’enfin nous aurions un jour le bonheur d’être réunis. »

L’éloquence du bras de Joe surpassa toute celle du langage le plus passionné ; et celle de ses lèvres, donc ! … Et cependant, avec tout cela, il ne disait pas un mot.

« Et maintenant enfin, cria Dolly toute palpitante de l’ardeur qu’elle mettait dans ses paroles, quand vous seriez malade, estropié de tous vos membres, valétudinaire, infirme, morose ; quand même, au lieu d’être ce que vous êtes, vous ne seriez aux yeux de tout le monde, non pas aux miens, qu’un débris, qu’une ruine, plutôt qu’un homme, je n’en serais pas moins votre femme, votre bonne amie, avec plus d’orgueil et de joie que si vous étiez le lord le plus magnifique de toute l’Angleterre.

— Qu’ai-je fait, s’écria Joe à son tour, qu’ai-je donc fait pour obtenir une telle récompense ?

— Vous m’avez appris, dit Dolly, levant vers lui sa jolie figure, à me connaître et à vous apprécier ; à valoir un peu mieux que je ne valais ; à mieux me rendre digne de votre