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Grosvenor-Square : on les avait barricadées comme pour y soutenir un siége, avec des canons pointés aux fenêtres. Le soleil, en se levant, éclaira des appartements somptueux remplis d’hommes armés ; les meubles mis en tas dans les coins, à la hâte et sans précaution, au milieu de la terreur du moment ; les armes qui brillaient dans les chambres de la Cité, au milieu des pupitres, des tabourets, des livres poudreux ; les petits cimetières enfumés dans les ruelles tortueuses et les rues de traverse, avec des soldats étendus parmi les tombes, ou flânant à l’ombre de quelque vieil arbre, et leurs fusils en faisceau étincelant au jour ; les sentinelles solitaires se promenant de long en large dans les cours de la Cité, maintenant silencieuses, mais hier encore animées par le bruit et le mouvement des affaires ; enfin partout des postes militaires, des garnisons, des préparatifs menaçants.

À mesure que le jour faisait fuir l’ombre, on voyait dans les rues des spectacles encore plus inaccoutumés. Les portes du Banc du roi et des prisons de Fleet, quand on vint les ouvrir à l’heure ordinaire, se trouvèrent placardées d’avis annonçant que les émeutiers reviendraient cette nuit pour les réduire en cendres. Les directeurs, sachant qu’ils ne tiendraient que trop bien, selon toute apparence, leur parole, ne demandaient pas mieux que de lâcher leurs prisonniers et de leur permettre de déménager. De sorte que, tout le long du jour, ceux qui avaient quelques meubles s’occupèrent à les emporter, les uns ici, les autres là, la plupart chez des revendeurs, pour en tirer le plus d’argent qu’ils pourraient. Parmi ces débiteurs incarcérés pour dettes, il y en avait qui étaient si abattus par le long séjour qu’ils avaient fait en prison, si misérables, si dénués d’amis, si morts au monde, sans personne qui eût conservé leur souvenir ou qui leur eût gardé quelque intérêt, qu’ils suppliaient leurs geôliers de ne pas leur rendre leur liberté, et de les diriger sur quelque autre maison de force. Mais les geôliers n’en avaient garde : ils craignaient trop de s’exposer à la colère de la populace, et les mettaient à la porte, où ils erraient çà et là dans les rues, se rappelant à peine les chemins dont leurs pieds avaient depuis si longtemps perdu l’habitude ; et ces pauvres créatures dégradées et pourries jusqu’au cœur par le séjour de la prison s’en allaient, la larme