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les tonneaux, couraient çà et là comme des enragés, mettant le feu à tout ce qu’ils voyaient, souvent même aux vêtements de leurs camarades ; enfin brûlant si bien les bâtiments par tous les bouts, qu’on en voyait plusieurs qui n’avaient pas eu le temps de se sauver, suspendus avec leurs mains défaillantes, et le visage noirci par la fumée, aux allèges des croisées où ils s’étaient traînés, en attendant qu’ils fussent attirés et dévorés dans la fournaise. Plus le feu sévissait et pétillait, plus les gens devenaient farouches et cruels, comme des diables qui se sentent dans leur élément au milieu du feu ; ils avaient déjà dépouillé leur nature terrestre pour prendre un avant-goût des plaisirs de l’enfer.

Le bûcher en combustion qui montrait les chambres et les couloirs rouges comme le feu, à travers les trous pratiqués dans les murs écroulés ; les flammes égarées qui léchaient de leurs langues fourchues les murs de brique et de pierre au dehors, pour trouver un passage et porter leur tribut à la masse ardente qui brûlait en dedans ; le reflet de l’incendie sur le visage des brigands occupés à l’attiser ; le mugissement de la braise furieuse, si haute et si brillante qu’elle semblait, dans sa rapacité, avoir dévoré jusqu’à la fumée même ; les flammèches vivantes que le vent détachait du brasier pour les emporter sur ses ailes, comme une neige de feu ; le bruit sourd des poutres brisées, qui tombaient comme des plumes sur le monceau de cendres, et se réduisaient presque au même instant en un foyer d’étincelles et de poussière enflammée ; la teinte blafarde qui couvrait le ciel, faisant mieux ressortir tout autour, par le contraste, les ténèbres profondes ; la vue de tous les recoins dont leur usage domestique faisait naguère un lieu sacré, livrés maintenant sans pudeur aux regards d’une populace effrontée ; la destruction par des mains rudes et grossières des mille petits objets de la prédilection des maîtres, qui les associaient dans leurs cœurs avec de tendres et précieux souvenirs ; et cela, non pas au milieu de visages sympathiques et de consolations murmurées par l’amitié, mais au bruit des acclamations les plus brutales, et de cris étourdissants qui faisaient sauver à la hâte jusqu’aux rats, habitués par une longue possession à ce domicile antique, et devenus, pour ainsi dire, les commensaux de la maison : toutes