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et il devenait évident pour Anna que le chagrin avait détraqué le cerveau de son père adoptif. Elle avait d’abord essayé, par la douceur et la persuasion, de calmer cette effervescence ; mais le bonhomme, obéissant comme un enfant sur tous les autres sujets, était devenu tout à fait intraitable sur celui-là.

De guerre lasse, et comptant sur la cessation prochaine des visites inopportunes qui assaillaient le pauvre vieux, Anna avait pris le parti de ne plus contrarier ouvertement la monomanie du père Bouet. Elle se contentait de le calmer par ses paroles et ses caresses, quand il s’excitait outre mesure. Elle se disait, avec raison, qu’à soixante-douze ans et avec un tempérament sanguin, une semblable et si continuelle tension d’esprit pourrait devenir fatale au vieillard. Le mot apoplexie se présentait même quelquefois à son esprit troublé, avec ses conséquences foudroyantes, à un âge aussi avancé ; mais elle s’efforçait de chasser cette idée sinistre, se disant que Dieu l’avait assez éprouvée, en lui enlevant sa mère, et qu’il n’appesantirait pas davantage son bras sur elle, en la faisant tout à fait orpheline.