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Le Petit Soldat

« Il eſt venu, répondit l’hôtesse, une belle princesse dans un carrosse tout doré. Elle a dit qu’elle repasserait demain à huit heures précises, & a recommandé de vous remettre ce bouquet. »

Le petit soldat fut désolé de ce contre-temps, & maudit cent fois son sommeil ; il songea même à aller s’excuser au château ; mais il se souvint que Ludovine lui avait défendu d’y reparaître, & il craignit de lui déplaire. Il se consola en regardant son bouquet, qui était un bouquet d’immortelles.

« C’eſt la fleur du souvenir, » pensa-t-il. Il ne réfléchit point que c’était aussi la fleur des tombeaux.

La nuit venue, il ne dormit que d’un œil, & s’éveilla vingt fois par heure. Quand il entendit les oiseaux souhaiter le bonjour à l’aurore, il sauta du lit, sortit de l’auberge par la fenêtre & grimpa sur le plus gros des trois tilleuls qui ombrageaient la porte.

Il s’assit à califourchon sur la maîtresse branche, & se mit à contempler son bouquet, qui brillait au crépuscule comme une gerbe d’étoiles.

Il le regarda tant & tant, qu’à la fin il se rendormit. Rien ne put le réveiller, ni l’éclat du soleil, ni le babillage des oiseaux, ni le roulement du carrosse doré de Ludovine, ni les cris de l’hôtesse, qui le cherchait par toute la maison.