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Contes d’un buveur de bière

Les jeunes, les vieux, les gras, les maigres, les grands & les petits, les droits, les tortus, les bancals, les boiteux recommencèrent à danser de plus belle ; jusqu’aux chiens se dressaient sur leurs pattes de derrière pour danser aussi. Une charrette passa : le cheval & la charrette entrèrent en danse. On dansait sur la place, dans les rues, dans les ruelles, aussi loin que s’entendait le carillon ; &, sur la route, les gens de Condé qui venaient à Fresnes dansaient sans savoir pourquoi ni comment. Tout dansait dans les maisons : les hommes, les animaux & les meubles. Les vieillards dansaient au coin du feu, les malades dans leurs lits ; les chevaux dansaient dans l’écurie, les vaches dans l’étable, les poules dans le poulailler ; & les tables dansaient, les chaises, les armoires & les dressoirs ; & les maisons se mirent elles-mêmes à danser, & la brasserie dansait & l’église ; & la tour où carillonnait Cambrinus faisait vis-à-vis avec le clocher, en se donnant des grâces. Jamais, depuis que le monde eſt monde, on n’avait vu un pareil branle-gai !

Au bout d’une heure de cet exercice, les Fresnois étaient en nage. Haletants, épuisés, ils crièrent au carillonneur :

« Arrête, arrête ! Nous n’en pouvons plus !

— Non, non. Dansez, » répondait le carillonneur, & plus il carillonnait, plus les danseurs