Page:Destutt de Tracy - Quels sont les moyens de fonder la morale chez un peuple ?.djvu/34

Cette page a été validée par deux contributeurs.

que parmi nous la somme du mal moral est augmentée ? Alors ils ne font que répéter en d’autres termes ce que nous venons de dire ; ils énoncent simplement le fait, et n’en indiquent pas la cause.

Veulent-ils insinuer que le changement de gouvernement a rendu nos mœurs plus dépravées, nos sentimens plus pervers ? Alors ils oublient que les mœurs et les sentimens des hommes ne changent point ainsi du jour au lendemain, ni même en un petit nombre d’années. Il est constant, au contraire, que le temps présent est toujours, pour ainsi dire, le disciple du temps antérieur, et que nous sommes mus aujourd’hui par les habitudes, les passions et les idées contractées ou acquises sous l’ancien ordre social. Si telles étaient les causes de nos maux actuels, il faudrait sans hésiter les attribuer tous à cet ancien régime si follement regretté. Mais soyons toujours justes. Ce serait outrer les reproches qui lui sont dus, puisque tant qu’il a subsisté, ces habitudes, ces passions et ces idées n’entraînaient pas toutes les mêmes conséquences.

Enfin, l’espèce d’oracle dont je cherche à pénétrer le sens signifie-t-il que les principes sur lesquels repose le nouvel ordre social sont destructifs de la morale ? Cette prétention serait insoutenable : car ce qui caractérise particulièrement le nouveau système, et le distingue spécialement de l’ancien, c’est de professer plus de respect pour les droits naturels et originaires des hommes que pour les usurpations postérieures, de consulter les intérêts du grand nombre plus que ceux du petit, de préférer les qualités personnelles aux avantages du hasard, de mettre la raison au-dessus des préjugés et des habi-