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  AMOURS  



XXXIX.


Si ceste grand’beauté tant douce en apparence
Ne couvre, ô ma Deesse, un cœur de Diamant,
Vous plaindrés mes douleurs, quand vous verrez comment
Amour m’a travaillé loin de vostre presence.

Mais las ! je m’entretiens d’une vaine esperance :
Car si mon foible esprit dure assez longuement
Pour vous revoir, Madame, une seule influence
Du Soleil de vos yeux guarira mon tourment.

Mon ame ores tenuë en langueur inhumaine,
Oubliant sa douleur paroistra toute saine,
Et les rais de vos yeux mes pleurs iront seichant.

Voyla comme un bel œil de deux sortes m’offanse,
Me blessant à la mort, et puis en m’empeschant
Que je ne puis monstrer ma mortelle souffrance.



XL.


Quand premier Hippolyte eut sur moy la victoire,
Et que j’ouvry mes yeux au jour de sa beauté,
Je ne sçay qu’il m’advint : je fu si transporté
Que de moymesme, helas ! je perdi la memoire.

Mes sens estoyent ravis en l’amoureuse gloire,
Et mon œil esblouy de trop grande clarté,
Craignant ses chauds regards, s’abaissoit arresté
Sur son beau sein d’albatre, et sa gorge d’ivoire.

Je senti mal et bien, chaud et froid à l’instant :
J’esperai sans espoir, j’eu peur : j’osay pourtant,
Et parlay dans mon cœur mainte chose inconnuë.

Je le fortifiay pour les maux advenir :
Et, pour mieux y penser chassay le souvenir
De toute autre beauté que devant j’avois veuë.