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NOUVELLE V.

Des trois sœurs nouvelles espouses, qui respondirent chascune un bon mot à leur mary la premiere nuict de leurs nopces.


Au pays d’Anjou y eut jadis un gentilhomme qui estoit riche et de bonne maison, mais il estoit un peu suget à ses bons plaisirs. Il avoit trois filles belles et de bonne grace, et de tel age que la plus petite eust bien attendu le combat corps à corps. Elles estoyent demeurees sans mere, ja long temps avoit ; et parce que le pere estoit encores en bon age, il entretenoit tousjours ses bonnes coustumes, qui estoient de recevoir en sa maison toutes joieuses compagnies, là où l’ordinaire estoit de baller[1], et jouer, et de faire toutes sortes de bonnes cheres. Et, d’autant qu’il estoit de sa nature indulgent, facile et sans grand soin du fait de sa maison, ses filles avoyent assez de liberté de deviser avec les jeunes gentilz hommes, lesquelz, communement, ne parlent pas de rencherir le pain, ni encores du gouvernement de la republique[2]. Davantage, le pere faisoit l’amour de son costé comme les autres, qui donnoit une hardiesse plus grande aux jeunes damoyzelles de se laisser aimer, et, par consequent, d'aimer aussi : car elles, ayans le cueur en bon lieu et sentant leur bonne maison, estimoyent estre chose de reproche et d’ingratitude d’estre aimées et n’aimer point. Pour toutes ces raisons ensemble, estant chacune d’elles prisée, caressée et poursuivie tous les jours et à toutes heures, elles se laisserent gaigner à l’amour, eurent pitié de leur semblable et commencerent à jouer au passetemps de deux à deux[3] chascune en leur endroit ;

  1. Danser, donner le bal.
  2. Cela revient à ce quolibet des docteurs, que : Scolasticus cum femina loquens non præsumitur dicere Pater Noster. (L.M.)
  3. Faire l’amour. Béroalde de Verville, au ch. LXXXIX du Moyen de parvenir, dit que deux à deux sont quatre. Sedaine n’a fait que rimer un vieux proverbe, dans son air si connu :

    Quand les bœufs vont deux à deux,
    Le labourage va mieux.