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terre, ils ne dédaignent pas toujours la vie des champs. Avant la loi rurale de 1864, qui, sous le prince Couza et le ministre Cogonetschano a rendu le paysan propriétaire, les Juifs ne pouvaient prendre de terres à ferme ; mais depuis lors, et en vertu d'un décret de tolérance rendu pendant la suspension des Chambres, ils furent autorisés à faire des contrats, et ils en firent même avec l'État. Ils prirent alors pour cinq ans l'usufruit de la terre, payèrent au propriétaire la redevance convenue et se substituèrent à tous ses droits. Ils eurent à leurs gages des journaliers âprement taxés, surveillés et incités; ils devinrent ainsi de véritables entrepreneurs de culture sans être jamais cultivateurs. Le cultivateur a l'amour de la terre, il voit ses fleurs et ses fruits naître par ses sueurs, il s'attache à sa nourrice ; l'entrepreneur ne voit dans les sillons, dans la tige du maïs, dans la grappe vermeille, dans l'épi doré, que la pièce d'or qui brille devant ses petits yeux avides.

Mais son commerce par excellence, son élément, son besoin premier, le champ illimité de ses rêves de puissance à venir, l'espoir caressé de ses vengeances secrètes contre le chrétien, c'est la petite banque, la petite semaine, l'usure florissante en tout pays où l'État n'a point sauvegardé l'emprunteur par des banques nationales et le taux légal. Ici point d'intérêt fixe; l'argent est marchandise, comme le blé. Quand le blé manque chez nous le foin est cher ; ici, quand le blé manque, l'argent aussi est cher, car il n'y a point d'industrie compensatrice. J'ai vu prêter à 5 0/0 par mois ! J'ai su que tel gros propriétaire, homme sûr et empruntant sur hypothèque, payait 22 0/0 par an ; un autre, 34. En un mot, la fortune étant toute foncière, point de capitalistes, point de banque ; et l'usure dévorante est suspendue