Page:Deschamps - Études françaises et étrangères, 1831, 5e éd.djvu/68

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
lvi

talent, a singulièrenvent appauvri la langue poétique, en croyant l’enrichir, parce qu’il nous donne toujours la périphrase à la place du mot propre. Il a changé nos louis d’or en gros sols : voilà tout. Et puis, quel misérable progrès de versification, qu’un logogriphe en huit alexandrins, dont le mot est carotte ou chiendent… Ce qu’il y a de plus triste, c’est que beaucoup de nos auteurs ont transporté ce faux langage dans la tragédie. Ils dépensent tout ce qu’ils ont de poésie dans leur mémoire, pour faire raconter un détail vulgaire par un personnage subalterne, et lorsqu’arrivent les scènes de passion, ils n’ont plus que des lieux communs à nous débiter dans un style éteint, comme cet avocat des Plaideurs,

Qui dit fort longuement ce dont on n’a que faire,

et qui glisse sans qu’on s’en aperçoive sur le point essentiel.

Voilà pourtant, de dégradation en dégradation, où est tombée l’école de Racine. Certes, elle est tombée de bien haut : ne nous étonnons pas si elle en meurt.

André Chénier a rompu ce joug usé. Il a reproduit avec génie la manière franche, l’expression mâle du grand poète Régnier ; et remontant aux premiers âges de notre poésie, il a rendu à