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images, et comme telle c’est sur les sens et l’imagination qu’elle doit d’abord agir ; c’est par cette double route qu’elle doit arriver au cœur et à l’entendement. De là vient que les grands musiciens et surtout les grands peintres, enfin tous les artistes distingués, sont bien plus sensibles à la poésie y et par conséquent, en sont bien meilleurs juges que les hommes de lettres proprement dits. L’éducation musicale commence à se faire parmi nous, le goût de la peinture est déjà fort répandu ; et cependant combien de gens d’esprit, sans compter ceux qui n’en ont pas, préfèrent encore un nocturne bien doux, ou l’ancien plein-chant, de notre opéra, aux plus délicieuses modulations ou aux plus riches harmonies ; et un intérieur de cuisine, ou un effet de neige avec un peu de feu, aux plus sublimes têtes et aux compositions les plus inspirées et les plus étudiées. Ce qui est vrai pour la musique et la peinture, l’est bien davantage pour la poésie qui est l’art le moins palpable, celui dont les secrets sont les plus nombreux et les plus intimes, celui enfin qui a le grand désavantage sur les autres arts de n’avoir pas une langue à part et d’être obligé de s’exprimer avec les mêmes signes qu’un exploit d’huissier, ou qu’un roman vertueux qui fait pleurer les marchandes