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Traité de l’Homme.

au moins celles qui ſont aſſez groſſes pour eſtre veües, ſi vous ne les connoiſſez deſia aſſez fuſſiſamment de vous meſme. Et pour celles qui à cauſe de leur petiteſſe ſont inuiſibles, ie vous les pourray plus facilement & 5 plus clairement faire connoiſtre, en vous parlant des mouuemens qui en dependent ; ſi bien qu’il eſt ſeulement icy beſoin que i’explique par ordre ces mouuemens, & que ie vous die par meſme moyen quelles ſont celles de nos fonctions qu’ils repreſentent.

10 Premierement, les viandes ſe digerent dans l’eſtomac | de cette machine, par la force de certaines liqueurs, qui, ſe gliſſant entre leurs parties, les ſeparent, les agitent, & les échauffent : ainſi que l’eau commune fait celles de la chaux viue, ou l’eau forte celles des 15 metaux. Outre que ces liqueurs, eſtant apportées du cœur fort promptement par les arteres, ainſi que ie vous diray cy-apres, ne peuuent manquer d’eſtre fort chaudes. Et meſme les viandes ſont telles, pour l’ordinaire, qu’elles ſe pouroient corrompre & échauffer 20 toutes ſeules : ainſi que fait le ſoin nouueau dans la grange, quand on l’y ſerre auant qu’il ſoit ſec.

Et ſçachez que l’agitation que reçoiuent les petites parties de ces viandes en s’échauffant, iointe à celle de l’eſtomac & des boyaux qui les contiennent, & à 25 la diſpoſition des petits filets dont ces boyaux ſont compoſez, fait qu’à meſure qu’elles ſe digerent, elles deſcendent peu à peu vers le conduit par où les plus groſſieres d’entr’elles doiuent ſortir ; & que cependant les plus ſubtiles & les plus agitées rencontrent çà & là 30 vne infinité de petits trous, par où elles s’écoulent dans les rameaux d’vne grande vene qui les porte vers le