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Puis, une grande et profonde misère quand mon père n’eut plus à peindre d’équipages ni d’armoiries.

« J’avais quatre ans à l’époque de ce grand trouble en France (la Révolution de 1789). — Les grands-oncles de mon père, exilés autrefois en Hollande à la révocation de l’Édit de Nantes, offrirent à ma famille leur immense succession, si l’on voulait nous rendre à la religion protestante. Ces deux oncles étaient centenaires ; ils vivaient dans le célibat à Amsterdam, où ils avaient transporté et fondé une librairie. — J’ai des livres imprimés par eux.

« On fit une assemblée dans la maison. — Ma mère pleura beaucoup. Mon père était indécis et nous embrassait. — Enfin, on refusa la succession, dans la peur de vendre notre âme, et nous restâmes dans une misère qui s’accrut de mois en mois jusqu’à causer un déchirement d’intérieur où j’ai puisé toutes les tristesses de mon caractère.

« Ma mère, imprudente et courageuse, se laissa envahir par l’espérance de rétablir sa maison en allant en Amérique trouver une parente qui était devenue riche. De ses quatre enfants qui tremblaient de ce voyage, elle n’emmena que moi. Je l’avais bien voulu, mais je n’eus plus de gaîté après ce sacrifice. J’adorais mon père comme le bon Dieu même. Les rues, les villes, les ports de mer où il