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N’enviez plus à votre amie
Un plaisir aussi douloureux :
Ravir la plainte aux malheureux,
C’est leur dire : Quittez la vie !

Quand je vous vois disputer au miroir
De fraîcheur et de grâce avec les fleurs que j’aime,
Quand je vous y vois prendre en secret, pour vous-même,
Tout le plaisir que l’on goûte à vous voir,
M’entendez-vous, ô ma chère Délie,
Vous reprocher un passe-temps si doux ?
Non ; je deviens moins sombre en vous voyant jolie ;
Je pardonne à l’Amour, je lui souris pour vous.
Mais, si de la gaieté la parure est l’emblème,
Elle donne un éclat plus triste à la pâleur :
À la beauté brillante il faut un diadème,
Il faut un voile à la douleur.

Du suave lilas qui pour vous vient d’éclore
Couronnez votre front charmant ;
Mon front, que l’ennui décolore,
Doit se pencher sans ornement.
Du sort qui m’enchantait la fatale inconstance
De ma jeunesse a flétri l’espérance ;
Un orage a courbé le rameau délicat,
Et mes vingt ans passeront sans éclat.
Je les donne à la solitude ;
Je donne aux Muses mes loisirs ;
L’art de plaire fait votre étude ;
L’art d’aimer fera mes plaisirs.
Mais non, je l’oublîrai, cet art, ce don funeste,
Qui servit à l’Amour quand il forma mon cœur ;