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d’alors, les plus frais parfums de jeunesse et font naître une larme en ressouvenir des printemps, sont encore sues de bien des mémoires fidèles : on a oublié qu’on les doit à madame Valmore.

Depuis un certain moment, cette âme, ce talent de tendre poëte a eu peine évidemment à se faire aux saisons décroissantes d’une vie qui va flétrissant chaque jour ses premières promesses. Habituée qu’elle était à donner à ses sentiments une forme unique, elle s’est senti plus d’une fois le cœur aveuvé ; elle s’est demandé, elle a demandé aux objets muets si c’était bien la loi fatale et dernière ; ainsi, hier encore, en regardant une horloge arrêtée :

Horloge, d’où s’élançait l’heure,
Vibrante en passant dans l’or pur,
Comme un oiseau qui chante ou pleure
Dans un arbre où son nid est sûr,
Ton haleine égale et sonore
Sous le froid cadran ne bat plus :
Tout s’éteint-il comme l’aurore
Des beaux jours qu’à ton front j’ai lus ?

Son champ d’inspirations s’est étendu, et son aile palpitante a tâché d’y suffire. L’avenir du monde, la souffrance de ses semblables, les grandeurs de la nature, l’ont préoccupée. Dans un de ses essors vers l’infini de l’horizon, elle est allée jusqu’à s’écrier :

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Charme des blés mouvants ! fleurs des grandes prairies !
Tumulte harmonieux élevé des champs verts !
Bruit des nids ! flots courants ! chantantes rêveries !
N’êtes-vous qu’une voix parcourant l’univers ?…

Ne pressez pas trop le sens : ce sont là de ces vers d’elle, pénétrants et vagues, qui vous poursuivent d’une longue rêverie. Jeune, à vingt ans, les cheveux au vent, le front au ciel, le bâton d’Obermann ou d’Ahasvérus à la main, on ferait le tour du monde en les récitant.