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LE MIROIR.


Comme un enfant cruel tourmente la douceur
De l’agneau craintif qu’il enchaîne,
Amour, je t’ai vu rire à l’accent de ma peine :
J’en ai pleuré… pour toi, de honte et de douleur !
Mais l’agneau gémissant rêve au joug qui l’opprime ;
Il le brise en silence, et retourne au vallon :
Adieu, méchant Amour, dont je fus la victime !
Adieu ! le pauvre agneau m’a rendu la raison !
Joyeux et bondissant des vallons aux prairies,
Dégagé de l’anneau de fer
Qui le blessa long-temps sous des chaînes fleuries,
Il voit l’herbe plus verte et le ruisseau plus clair.
Ma fierté languissante est enfin éveillée ;
Je repousse en fuyant tes amères faveurs ;
Et, sous ta guirlande effeuillée,
J’ai brisé tes fers imposteurs !

Ne viens pas me troubler, Amour, je suis heureuse ;
Je ne sens plus le poids d’un lien détesté ;
Mais quoi ! sa fraîche empreinte est encor douloureuse…