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Mais cette harpe, c’était celle d’Ossian ; ce vent, c’était le vent d’Écosse.

Eh bien, moi aussi, comme ce voyageur, j’ai ma harpe éolienne ; j’ai des sons qui, quelque part que je sois, quelque pensée qui préoccupe mon esprit, quelque amour qui me tienne le cœur, retentissent tout à coup au fond de mon ame ; j’ai une voix qui me parle dans le tumulte ou dans le silence, dans le jour ou dans l’ombre, et me fait frissonner, comme lorsque les cheveux d’une femme que j’aime me passent sur le visage. Harpe inconnue, sons mystérieux, voix divine !…

La première fois qu’elle me parla, j’étais enfant ; la voix était douce et naïve ; je la pris presque pour celle de ma mère. Elle me dit :

Quoi ! Daniel, à six ans vous faites le faux brave,
Vous insultez le chien qui dort,
Vous lui tirez l’oreille, et, raillant votre esclave
Sous ses pas endormis vous dressez une entrave.
L’esclave qui sommeille, ô Daniel ! n’est pas mort !…
Son réveil s’armera d’une dent meurtrière ;
La preuve en a rougi votre linge en lambeaux…
Oui, vous voilà blessé, mais blessé par derrière !
Malgré la nuit, j’y vois ; sauvons-nous des flambeaux ;
Sauvons-nous des témoins… Moi, je suis votre mère ;
Je cacherai ta honte, enfant, dans mon amour.